Sur recommandation de sa Faculté des sciences humaines, l’UQAM a décerné le 19 octobre un doctorat honoris causa à Joan Wallach Scott, soulignant ainsi son apport novateur à la théorisation de la discipline historique, sa très grande rigueur et la clarté de ses analyses sociales, ainsi que sa contribution exceptionnelle au domaine des études féministes.
Née en 1941 à Brooklyn, Joan Scott a fait ses études de baccalauréat à l’Université Brandeis (Massachusetts), puis a obtenu sa maîtrise et son doctorat en histoire de l’Université du Wisconsin. Elle a enseigné l’histoire pendant quinze ans dans plusieurs universités américaines prestigieuses, dont Brown, où elle a fondé le Pembroke Center for Teaching and Research on Women. Depuis 27 ans, elle est rattachée à l’Institut des études avancées de l’Université Princeton, où elle a été nommée, en 2000, titulaire de la chaire Harold F. Linder.
La recherche qui a fait connaître cette historienne francophile, en 1974, portait sur la syndicalisation des ouvriers verriers de Carmaux, commune du Tarn en France, confrontés à l’industrialisation de leur métier au XIXe siècle. Par la suite elle s’est intéressée aux conditions de vie et d’emploi des ouvrières françaises et anglaises de la Révolution industrielle, prélude à des recherches plus poussées sur les femmes et le féminisme.
Joan Scott peut être considérée comme une pionnière aussi bien de l’histoire ouvrière que des études féministes. Sa contribution à ces deux domaines de recherche est remarquable tant par la variété d’ouvrages et d’articles publiés que par les avancées méthodologiques et critiques proposées. Elle se définit comme une historienne critique, engagée dans des champs et des objets d’étude peu exploités avant les années 1970, qui n’hésite pas à reconsidérer certaines approches analytiques pour rendre compte de réalités inédites. C’est ainsi qu’elle a introduit une catégorie «genre» – gender en anglais – dans la théorie historique, qui se réfère à un construit social et non biologique.
Toute l’œuvre de Joan Scott vise à faire prendre conscience des inégalités sociales et de genre, pour mieux les supprimer. Elle admet volontiers que ses écrits dérangent. The Politics of the Veil, paru en 2007, qui analyse les valeurs républicaines françaises à l’origine de la loi de 2004 interdisant le voile dans les écoles publiques, est de ceux-là. La laïcité, invoquée par certains groupes sociaux, y compris féminins, comme devant conduire inévitablement à l’émancipation des femmes, est une de ces évidences qu’elle se permet de questionner, comme beaucoup d’autres à travers son œuvre.
Ses écrits ont été traduits en plusieurs langues, dont le japonais, le coréen, le bulgare, le polonais, l’italien, l’espagnol, le portugais et l’arabe. En 1974, elle a reçu le prix Herbert Baxter Adams pour The Glassworkers of Carmaux : French Craftsmen and Political Action in a 19th Century City, et le prix Kaplan du meilleur article pour «Women’s Work and the Family in 19th Century Europe» (coécrit avec Louise Tilly). Elle a aussi remporté le prix Joan Kelly de l’American Historical Association pour Gender and the Politics of History, paru en 1988. L’Université de Berne lui a décerné, en 1999, le prix Hans Sigrist pour son travail remarquable en études féministes. Enfin, l’American Historical Association lui a décerné deux prix, en 1995 et 2009, pour souligner la qualité de son enseignement et de ses travaux de recherche, sans compter les sept doctorats honorifiques qui lui ont été attribués.