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Les comportements négatifs

Le groupe influence nos comportements, parfois pour le mieux, parfois pour le pire.

Par Pierre-Etienne Caza

2 avril 2012 à 0 h 04

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

«Les nazis n’ont pas tous agi sous la contrainte. Certains croyaient sincèrement que leurs comportements étaient corrects, ils prenaient même des initiatives», souligne d’emblée Catherine Amiot. L’exemple est extrême, mais il illustre bien la thématique de recherche qui intéresse depuis quelques années la professeure du Département de psychologie : les normes de groupe et les comportements négatifs. Elle tente de comprendre comment un individu peut en arriver à adopter de tels comportements et à se convaincre qu’ils concordent avec ses valeurs personnelles. Ses recherches ont donné lieu à la publication récente d’un article dans la revue Personality and Social Psychology Bulletin.

Il existe des points de vue différents sur les comportements négatifs, explique Catherine Amiot à propos du cadre théorique de ses recherches, menées en collaboration avec la doctorante Sophie Sansfaçon, de l’UQAM, et la professeure Winnifred Louis, de l’Université du Queensland. «Les théories intergroupes de type relativiste stipulent que les membres d’un groupe déterminent les normes qu’ils endossent, tandis que certaines théories humanistes de la motivation soutiennent que nous ne pouvons pas intérioriser des comportements négatifs, car les êtres humains sont fondamentalement pro-sociaux», explique la chercheuse, dont les études ont été subventionnées par le CRSH et le FRSQ.

Deux études, mêmes résultats

Catherine Amiot et ses collègues ont réalisé plusieurs études afin de mieux comprendre le phénomène. «Pour tester les réactions face à une norme, nous devons en créer une», dit la professeure. Lors d’une première étude, menée à l’Université du Québec en Outaouais, des étudiants ont dû indiquer quel serait leur comportement (équitable ou discriminatoire) par rapport à une situation donnée. Dans le cadre d’un projet de déménagement impliquant deux départements, les chercheurs ont dit à certains étudiants qu’un sondage indiquait qu’une vaste majorité de leurs collègues était en faveur d’une répartition équitable des nouveaux locaux entre les membres des deux départements concernés. Aux autres, ils ont dit que cette même majorité souhaitait plutôt avantager les membres de leur département au détriment des autres.

«Les participants qui ont décidé de suivre les normes pro-sociales (une répartition équitable) ou d’aller à l’encontre de la norme de discrimination (en refusant d’avantager leur département) sont davantage autodéterminés, c’est-à-dire qu’ils ont le sentiment que leurs comportements sont cohérents avec leurs valeurs et qu’ils les choisissent sans pression extérieure», dévoile Catherine Amiot. L’inverse a été vérifié. Les étudiants qui ont choisi la norme négative vivent davantage de conflits intérieurs. «Cela renvoie sans doute à certaines normes prescrites dans notre société, qui réprimandent la discrimination et encouragent l’égalité, du moins officiellement», précise la professeure.

Une seconde étude, effectuée à l’UQAM, a mené aux mêmes résultats. Cela confirmerait les théories motivationnelles humanistes voulant que l’être humain ait des difficultés à intérioriser des comportements négatifs. «On doit toutefois souligner les limites, engendrées par les conditions artificielles créées en laboratoire, d’études comme celles-ci, nuance la chercheuse. Entre autres, les participants ne sont pas en contact très longtemps avec la norme de discrimination. Dans des conditions normales, il y a probablement des facteurs facilitant l’adhésion à des normes négatives, ne serait-ce que le fait d’y être exposé pendant un certain temps au sein d’un groupe qui est important pour nous.»

Du bien-être psychologique?

Le lien entre l’autodétermination et le bien-être psychologique a été maintes fois démontré, mais jamais avec des exemples de comportements négatifs. Or, dans une recherche dont les résultats détaillés seront dévoilés prochainement, la professeure Amiot et ses collègues ont interrogé des fans d’équipes sportives afin de vérifier si cela pouvait être le cas. Leurs résultats sont surprenants. «Le degré d’identification au groupe facilite l’adoption de comportements normatifs négatifs et leur autojustification, explique-t-elle. Bien intégrer des comportements dérogatoires, comme insulter les fans et les joueurs de l’autre équipe ou les dénigrer, peut entraîner du bien-être psychologique parce que les individus sont alors en synchronie avec le groupe. Ils croient que leurs comportements sont appropriés.»

La chercheuse planifie d’autres études en laboratoire et auprès de divers groupes sociaux afin d’approfondir les mécanismes permettant de justifier et d’intérioriser les comportements négatifs.