La plus vieille avalanche documentée au Canada a eu lieu en 1825 à Lévis, sur les falaises qui encadrent le fleuve, causant la mort de cinq personnes. C’est l’une des découvertes surprenantes qu’ont fait trois chercheurs qui publiaient l’automne dernier dans la revue Géographe canadien un article intitulé «Les victimes d’avalanche au Québec entre 1825 et 2009».
Les spécialistes estiment qu’on a affaire à une avalanche lorsque la neige qui dévale une pente parcourt au moins 50 mètres. «Cela ne se produit pas uniquement en montagne. Il suffit de 20 mètres de dénivellation et de 30 centimètres de neige pour blesser ou même tuer quelqu’un», précise le professeur Daniel Germain, du Département de géographie, coauteur de l’article en compagnie du professeur Bernard Hétu et de la cartothécaire Kati Brown, de l’Université du Québec à Rimouski.
C’est après une série d’accidents survenus au tournant des années 2000 – l’avalanche du 1er janvier 1999, à Kangiqsualujjuaq, qui a détruit l’école du village au cours du réveillon du Jour de l’An, faisant neuf morts et blessant 25 personnes, de même que trois autres événements ayant causé des décès au début de l’année 2000, l’une à Château-Richer, près de Québec, et les deux autres en Gaspésie – que les chercheurs ont entrepris leurs recherches.
Ils ont pu tracer un historique des avalanches en fouillant et en croisant les données provenant d’enquêtes de coroners, d’articles de journaux et de compilations déjà publiées. «Nous avons peu de données entre 1765 et 1825, car l’information n’a pas été colligée», précise Daniel Germain.
Les trois chercheurs se sont également heurtés à un problème linguistique. Dans les journaux anglophones du début du XIXe siècle, les mots snow avalanch étaient utilisés, mais dans les journaux francophones, autant que dans les rapports d’enquête des coroners, on ne retrouve pas toujours le mot avalanche. «Nous avons dû déduire et fouiller les événements où l’on mentionnait les mots éboulis, banc de neige effondré ou asphyxie par la neige.»
Zones à risque
Au total, ils ont retracé 43 avalanches ayant causé la mort de 73 personnes depuis 1825. La plus meurtrière est celle de Kangiqsualujjuaq, suivie d’une autre survenue à Québec en 1875, qui avait causé huit décès. «Il y a plus de zones à risque que l’on croyait au départ», note Daniel Germain, qui a lui-même effectué sa thèse de doctorat sur la dynamique des avalanches en Gaspésie. Les régions les plus touchées par des avalanches mortelles sont celles de Chaudière-Appalaches (27) et de la Capitale-Nationale (19).
La plus grande surprise des chercheurs fut de découvrir que plus de la moitié des victimes (38) sont décédées alors qu’elles se trouvaient à l’intérieur ou à proximité d’un édifice, généralement leur résidence. Les activités sportives de proximité arrivent en seconde place pour les décès avec 24 victimes. La majorité des accidents se sont produits sur des pentes relativement courtes, en dehors des zones montagneuses.
Retard sur l’Europe
«En France, en Autriche et en Suisse, les avalanches qui sont survenues au XXe siècle n’ont pas touché les habitations, car ces pays ont opéré depuis longtemps un zonage particulier. Ils ont conservé des forêts de protection près des versants. C’est lors d’activités récréatives à risque que des décès surviennent.»
Le Québec, explique le professeur Germain, a quelques décennies de retard dans la gestion des risques naturels que représentent les avalanches. «Ce qui s’est produit il y a 100 ans en Europe en termes de gestion des risques, nous l’avons vécu au tournant des années 2000. Nous avons alors pris conscience que des avalanches pénètrent dans nos villages», poursuit le jeune chercheur, qui a travaillé pendant quelques années pour le ministère de la Sécurité publique sur le dossier de la gestion de risque d’avalanche sur la Basse Côte-Nord et dans les villages inuit du pourtour de la baie d’Ungava. «Dans ces deux régions, la problématique des avalanches a été rapidement réglée, les maisons situées dans les zones à risque ayant été relocalisées, mais dans les endroits plus densément peuplés du reste du Québec, les solutions doivent être étudiées au cas par cas.»
Daniel Germain et ses collègues souhaitent que leur recherche fasse boule de neige et aide à sensibiliser les gens, «surtout les jeunes, précise-t-il, car 60 % des victimes d’avalanche ont moins de 20 ans.»