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Formule 1: plus que du sport

L’ouvrage Géopolitique et virages de la Formule 1 propose des pistes de réflexion qui permettent de comprendre l’histoire de la F1, en ayant recours à différents champs du savoir : géographie, sociologie, science politique, études urbaines.

Par Claude Gauvreau

7 juin 2012 à 0 h 06

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Les Grand Prix de Formule 1 sont organisés par des millionnaires à roulettes qui véhiculent des valeurs élitistes, sexistes et mercantiles, affirment leurs détracteurs. Ce sont plutôt des événements festifs et populaires qui génèrent d’importantes retombées économiques pour les villes et les pays hôtes, rétorquent les promoteurs de l’événement.

Qui dit vrai? Quel portrait peut-on faire de la discipline reine du sport automobile? Comment a-t-elle évolué au cours des dernières années? L’ouvrage Géopolitique et virages de la Formule 1, paru récemment chez Septentrion, répond à ces questions. Publié sous la direction des professeurs Éric Mottet et Sylvain Lefebvre, du Département de géographie, et du chargé de cours Julien Laurent, il propose des pistes de réflexion qui permettent de comprendre l’histoire de la F1, en ayant recours à différents champs du savoir : géographie, sociologie, science politique, études urbaines.

Créés en 1950, les Grands Prix de Formule 1 ont été, pendant plusieurs années, des compétitions plutôt bon enfant, marquées par un certain amateurisme. «Un véritable tournant s’est produit quand Bernie Ecclestone, grand argentier de la F1, a pris le pouvoir au début des années 90, rappelle Éric Mottet, qui est aussi directeur de l’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand. Conscient qu’il peut faire de la F1 un événement extrêmement lucratif, Ecclestone dit aux constructeurs de bolides : faites-moi confiance et je vais faire de vous des gens riches. À l’image des Jeux olympiques et de la Coupe du monde de football, les Grands Prix sont devenus des méga-événements à portée planétaire, dont les enjeux dépassent les frontières de la compétition sportive.»

Nouveaux marchés

L’histoire de la Formule 1 est ponctuée de luttes de pouvoir entre trois grands groupes d’acteurs. D’abord, la Fédération internationale de l’automobile (FIA) qui gouverne et établit les règlements sportifs et les normes de sécurité. Deuxièmement, les équipes de constructeurs automobiles – Lotus, Williams, Renault, Ferrari –, qui se livrent une concurrence féroce. Troisièmement, le groupe de Bernie Ecclestone, responsable de la promotion et de l’exploitation des droits commerciaux et télévisuels de la F1. «La FIA a pratiquement donné tous les pouvoirs à Bernie Ecclestone, dit le professeur Mottet. Reçu comme un chef d’État quand il se déplace à travers le monde, il a même réussi à négocier une exemption de douanes pour les voitures et le matériel de la F1 qui transitent d’un pays à un autre.»

Depuis le début des années 2000, la prospérité et la notoriété de la F1 ne passent plus uniquement par l’Europe et le continent nord-américain, mais aussi par les pays du Moyen-Orient et de l’Asie : Émirats arabes unis, Malaysia, Chine, Singapour, Japon et Corée du Sud. Des territoires urbains comme Shanghai et Kuala Lumpur comptent sur cet événement pour concurrencer les métropoles occidentales. «La F1 offre à ces villes émergentes une vitrine qui leur permet de renforcer leur image internationale, de montrer leur capacité d’investir et, surtout, d’attirer les investisseurs», souligne Éric Mottet. Les instances de la F1 profitent également des sommes colossales investies par ces villes. Pour le circuit d’Abu Dhabi, dans les Émirats arabes unis, elles ont exigé une franchise de 45 millions de dollars par année jusqu’en 2016.

Des fonds publics

L’arrivée sur le circuit du pilote québécois Gilles Villeneuve et sa victoire au premier Grand Prix de Montréal, en 1978, ont largement contribué à faire connaître la Formule 1 et le sport automobile au Québec. «Montréal constitue la seule étape nord-américaine du circuit, note le chercheur. Avec un marché de 25 millions d’amateurs au Canada et aux États-Unis, la métropole offre à la F1 une visibilité considérable et un auditoire télévisuel mondial parmi les plus élevés.»

Retiré du calendrier en 2009 dans un contexte de crise financière et écarté au profit de destinations plus lucratives, le Grand Prix du Canada est de retour à Montréal depuis 2010. Les gouvernements fédéral, provincial et municipal, avec Tourisme Montréal, ont investi 75 millions de dollars, soit 15 millions par année pour une durée de cinq ans. «En comparaison avec d’autres régions, ce n’est pas énorme, affirme Éric Mottet. En 2010, les instances de la F1 ont octroyé un contrat de dix ans – de 2012 à 2021 – à la ville d’Austin, au Texas. Les pouvoirs publics ont accepté de financer entièrement l’opération en versant près de 29 millions de dollars par année.» Montréal gardera-t-elle son Grand Prix une fois son contrat échu? Possède-t-elle les ressources suffisantes pour faire face à la concurrence asiatique? «Rien ne le garantit, dit le professeur. Chose certaine, aucun promoteur local n’a les reins assez solides pour se priver de fonds publics.»

Quelles retombées ?

Certes, la F1 est luxueuse et élitiste, mais elle jouit à Montréal d’une affection particulière, tant de la part des pilotes et des écuries que des Québécois et des touristes. «Le circuit Gilles-Villeneuve sur l’île Notre-Dame étant situé à proximité du centre-ville, les hôtels, les restaurants et les bars sont remplis pendant toute la durée de l’événement… du moins en temps normal, observe Éric Mottet. Le Grand Prix génère des retombées économiques de 70 à 100 millions de dollars, en plus d’offrir à Montréal une visibilité internationale.»

Cette année, le scénario risque toutefois d’être différent. François Dumontier, promoteur du Grand Prix de Montréal, a confirmé une baisse significative de la vente des billets – presque 10 000 de moins que l’an dernier –, qu’il attribue au conflit étudiant. «Dans l’histoire de la F1, seule l’édition 2011 du Grand Prix de Bahreïn, dans le Golfe persique, a été gravement perturbée, au point d’être annulée, en raison des soulèvements populaires du printemps arabe», souligne le chercheur.