Directeur du Département des sciences économiques, le professeur Stéphane Pallage s’intéresse depuis 15 ans aux effets de l’aide internationale dans les pays en développement. Selon lui, malgré son caractère massif, l’aide internationale a donné peu de résultats en matière de développement économique au cours des 50 dernières années.
«Entre 1965 et 1995, un pays africain moyen a reçu sous forme d’aide l’équivalent de 12 % de son produit intérieur brut, sans que cela n’entraîne une croissance économique notable, dit le chercheur. Pendant plus de 30 ans, Haïti, l’État le plus pauvre des Amériques, a bénéficié chaque année de l’équivalent de quatre plans Marshall (programme d’aide mis en place pour reconstruire l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale). En 2007, trois ans avant le séisme, le revenu annuel moyen par habitant avait pourtant baissé de 20 % par rapport à celui de 1960.»
Des effets pervers
L’aide au développement engendre des effets indésirables insoupçonnés, affirme Stéphane Pallage. «Elle peut perturber le système des prix, altérer la structure de production des biens et des services, modifier le comportement des pays récipiendaires, voire inciter à la corruption.»
Il n’est pas rare que l’aide internationale nuise à la production locale, soutient le professeur. En Haïti, après le séisme de 2010, les prix de nombreux produits agricoles ont baissé sur le marché, en raison de l’afflux de vivres offerts gratuitement par des agences d’aide alimentaire. Plusieurs paysans ont fait faillite, tandis que d’autres ont cessé de cultiver la terre et ont déménagé à Port-au-Prince pour avoir accès à la nourriture. Cet exode rural a contribué à l’apparition de nouveaux bidonvilles et au surpeuplement des camps de réfugiés. «Peut-être aurait-il fallu acheter aux paysans leurs produits alimentaires pour ensuite les distribuer gratuitement à la population, observe Stéphane Pallage. On aurait ainsi préservé une partie de l’appareil productif du pays.»
Des programmes de lutte contre la pauvreté favorisent par ailleurs la compétition entre des pays qui cherchent à démontrer que leurs besoins sont les plus criants. «Pour profiter de l’aide, certains gouvernements ne font aucun effort pour combattre la pauvreté dans leur pays», souligne l’économiste. Quant à la corruption, elle demeure l’un des principaux obstacles à une aide internationale efficace. «Des recherches ont montré que près de 100 % de l’aide internationale avait été accaparée par des membres ou agents du gouvernement dans les pays récipiendaires durant les années 70 et 80. Sans compter que l’aide peut aussi susciter la convoitise d’intermédiaires locaux – douaniers, préposés au transport – par lesquels elle transite.»
Atténuer les conflits
Le rôle des agences d’aide va parfois au-delà de la gestion des famines et de l’intervention en cas de sinistre, poursuit Stéphane Pallage. «Dans des pays déchirés par une guerre civile, tels la Somalie et l’Afghanistan, les organismes d’aide humanitaire peuvent contribuer à atténuer l’intensité des conflits», dit-il. Souvent forcés de traiter avec des chefs de guerre mafieux qui, en contrôlant les ports et les aéroports, s’approprient une partie de l’aide destinée à la population, ces organismes tentent d’exploiter leur appât du gain et de les mettre en concurrence les uns avec les autres. Comment? En leur versant de l’argent ou en leur offrant des biens pour qu’ils instaurent une paix relative et cessent de détourner l’aide. «Mais cela suppose que les agences d’aide acceptent d’inscrire leur action dans une stratégie politique globale et qu’elles révisent le principe de neutralité auquel elles sont censées obéir», note le professeur.
Les conditions d’une aide efficace
Stéphane Pallage croit qu’une aide internationale efficace est possible, à certaines conditions. «L’aide doit être acheminée directement, avec le moins d’intermédiaires possible. Elle doit aussi éviter d’entrer en compétition avec l’offre locale de biens et de services et, surtout, être mobilisatrice. En Haïti, il vaut mieux fournir aux gens les matériaux pour qu’ils reconstruisent eux-mêmes leurs maisons, plutôt que rebâtir à leur place. Ainsi, chacun participe à la reconstruction et prend davantage conscience qu’il est possible de changer les choses. Une aide efficace doit enfin servir à former des juges, des policiers et des médecins pour renforcer la confiance de la population dans ses propres institutions.»