Il y a quelques années, la professeure Mara Brendgen, du Département de psychologie, a démontré que les facteurs génétiques et l’environnement interviennent dans une proportion de 50-50 pour expliquer l’agressivité physique chez les jeunes enfants. C’est l’étude poussée d’un échantillon comportant des centaines de paires de jumeaux monozygotes (bagage génétique identique) et dizygotes (bagage génétique partiellement différent), nés au Québec entre 1996 et 1998, qui a permis d’en arriver à ce constat.
Dans une nouvelle étude, publiée par la revue Child Development, Mara Brendgen et ses collègues démontrent cette fois que les enfants prédisposés génétiquement à l’agressivité sont plus à risque d’être victimes de harcèlement de la part de leurs pairs. «Ces résultats sont peut-être surprenants pour certains, explique la chercheuse. Nous savons tous que les enfants très timides ou ceux qui ont des caractéristiques physiques différentes, comme un problème de surpoids, sont des proies faciles pour leurs pairs. Or, nous avons observé que les enfants prennent également un malin plaisir à se moquer d’un camarade qui s’enrage rapidement. C’est un cercle vicieux : puisque l’enfant s’enrage, les autres enfants pensent qu’ils ont raison de le harceler.»
La relation avec l’enseignant
C’est auprès d’un échantillon de 217 paires de jumeaux inscrits en première année du primaire que la chercheuse a effectué cette nouvelle recherche, laquelle incluait également une analyse de la relation entre les enfants et leur enseignant(e). «L’enseignant peut jouer un rôle clé dans l’équation lorsque surviennent les comportements agressifs et les situations d’intimidation, poursuit-elle. Si un élève prédisposé génétiquement à l’agressivité développe une relation de confiance avec son enseignant, il devient moins susceptible d’exprimer cette agressivité et donc, en bout de ligne, de devenir une victime.»
Agressivité physique et psychologique
La chercheuse s’est également penchée sur les différences entre l’agressivité directe, ou physique, et indirecte, ou psychologique, comme le fait d’exclure socialement des pairs, de faire circuler des rumeurs sur leur compte, etc. «Avec l’âge, l’agressivité physique diminue, car elle est socialement réprouvée, tandis que l’agressivité indirecte augmente, explique-t-elle. Contrairement à l’agressivité physique, l’agressivité dite relationnelle est un apprentissage lié à l’environnement dans lequel évolue l’enfant.»
Les amis jouent aussi un rôle crucial dans l’expression de l’une et l’autre forme d’agressivité. Des amis agressifs peuvent renforcer une prédisposition génétique à l’agressivité physique, alors que des amis qui ne sont pas agressifs diminueront l’expression de cette même agressivité. «Un enfant qui n’a pas de prédisposition génétique à l’agressivité ne court pas un grand risque de devenir agressif physiquement même s’il fréquente des amis qui le sont», précise cependant la chercheuse.
Pour l’agressivité psychologique, l’équation est différente. Comme il s’agit d’un comportement qui est en grande partie acquis, il importe peu que l’enfant soit au départ prédisposé ou non à l’agressivité. «Beaucoup d’enfants qui fréquentent des amis agressifs psychologiquement envers les autres adoptent aussi ce comportement», note Mara Brendgen.
Victimisation et dépression
La chercheuse et ses collègues se sont également attardés au lien entre la dépression et le fait d’être victime de moqueries. «Certains enfants ont une prédisposition génétique à la dépression et le fait de devenir des victimes de leurs pairs augmente leurs risques de développer des symptômes de dépression. Mais nous observons également une augmentation du risque de dépression chez les enfants victimes qui n’ont pas de disposition génétique à la dépression. La victimisation par les pairs est donc un stresseur important pour tous les enfants.»
Selon la professeure, ces résultats de recherche démontrent une fois de plus l’importance d’inclure dans la formation des enseignants des leçons spécifiques concernant l’intimidation, le harcèlement et la gestion de la colère et de l’agressivité. «Ils sont en première ligne afin de désamorcer les situations à risque, car l’intimidation et les moqueries débutent souvent dans la cour d’école», conclut-elle.