Yona Jébrak, professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG UQAM, caresse un rêve un bien particulier : dresser une «cartographie interactive» de la résilience des villes. «L’idée, c’est de regrouper, sur une carte interactive, des données sur la reconstruction des villes, explique la chercheuse. Comment celles-ci sont-elles affectées par les catastrophes naturelles ou les guerres? Comment les a-t-on reconstruites? Quels sont les facteurs qui ont favorisé le retour à la normale après un drame? Comment le patrimoine urbain a-t-il été protégé?»
La résilience, terme emprunté notamment à la métallurgie, est la capacité d’une matière à reprendre sa forme de départ après un choc. Chez un individu, on parle de résilience si ce dernier peut reprendre une vie normale après un traumatisme. «La résilience urbaine, c’est la capacité des villes de retourner à leur état initial après une catastrophe naturelle, un séisme ou une guerre», explique la jeune professeure, embauchée en 2010, qui voue un intérêt particulier au patrimoine de la ville «en situation de danger».
Conséquences positives
Les catastrophes n’ont pas que des conséquences négatives. Une catastrophe naturelle peut servir, par exemple, à améliorer les mesures d’urgence et préventives mises en place par les municipalités. «En 1995, lors du tremblement de terre survenu à Kobé, au Japon, la ville disposait déjà de normes antisismiques et de plans d’évacuation. Malgré cela, beaucoup de personnes âgées, résidant dans des quartiers plus anciens qui ne répondaient pas aux normes antisismiques, n’ont pas survécu au séisme, relève la chercheuse. Après la tragédie, les autorités nippones ont revu leur plan d’évacuation, afin de venir en aide à ces populations isolées de manière plus efficace.»
C’est ce type d’informations qui intéressent Yona Jébrak et qui pourraient être colligées sur une carte de la résilience des villes. «Une telle carte pourrait aider les dirigeants à prendre exemple sur d’autres, elle pourrait fournir des pistes de réflexion et servir à développer des outils pour la reconstruction et la protection du patrimoine.» La professeure a recueilli l’été dernier ses premières données à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, où a eu lieu le terrible tremblement de terre du 4 septembre 2010, d’une force de 7,1 sur l’échelle de Richter, suivi d’une série de répliques. «Je travaille seule pour l’instant, mais j’aimerais collaborer avec des chercheurs dans des domaines comme la géologie, le génie, le droit, l’histoire de l’art ou les sciences sociales, ce qui pourrait grandement enrichir et compléter la cartographie, avance-t-elle, enthousiaste. J’ai du travail pour les 25 prochaines années!»
Évolution du paysage urbain
Yona Jébrak n’en est pas à ses premières armes en matière de reconstruction des villes. Elle a terminé, en 2010, une thèse de doctorat sur le sujet, sous la direction de Luc Noppen et de Lucie K. Morisset, professeurs au Département d’études urbaines et touristiques. Intitulée «La reconstruction et la résilience urbaine : l’évolution du paysage urbain», la thèse examinait à l’aide de près de 2 000 documents, pour la plupart des articles provenant de journaux municipaux ou de guides touristiques, le rapport au patrimoine et la manière dont la reconstruction a été entreprise dans deux villes européennes détruites ou partiellement détruites durant la Deuxième Guerre mondiale : Dunkerque, en France, une ville sous occupation allemande qui a été évacuée, et Coventry, en Angleterre, où les gens ont vécu la catastrophe sur place.
«Après la guerre, les Dunkerquois sont retournés vivre dans une ville en ruine, impossible à reconnaître. Dépourvus de repères, ils ont appris à vivre dans une nouvelle ville. Les habitants de Coventry, pour leur part, ont eu plus de chance. Leur ville, peu défigurée par le conflit, a pu être reconstruite rapidement.»
La chance d’enseigner
Yona Jébrak se dit très chanceuse de pratiquer son métier. L’UQAM représente pour elle un lieu d’enseignement qui préconise les interactions avec les étudiants «et qui brasse des idées». Une manière de faire qu’elle souhaite perpétuer. «Il faut que les choses bougent, qu’il y ait un effet de nouveauté constant. Il ne faut pas stagner dans une seule formule. Être professeure, c’est se réinventer perpétuellement!», conclut-elle.