Poète et dramaturge libertaire, signataire du célèbre manifeste Refus global, figure de proue de l’automatisme québécois, Claude Gauvreau continue, 40 ans après sa mort, de susciter l’intérêt des historiens de l’art.
En janvier 1961, le poète écrit une longue lettre à l’écrivain français André Breton, chef de file du surréalisme, l’un des plus importants mouvements littéraires et artistiques du XXe siècle. Grâce au travail d’édition critique de Gilles Lapointe, professeur au Département d’histoire de l’art, cette lettre inédite vient d’être publiée sous le titre Lettre à André Breton, le 7 janvier 1961 (Le temps volé, éditeur). Le lancement aura lieu le 19 octobre à la librairie Le port de tête, à Montréal.
«C’est un document unique qui prolonge les échanges des automatistes québécois avec André Breton et élargit notre compréhension des relations souvent tendues entre l’automatisme et le surréalisme, souligne le professeur. Dans cette lettre, Gauvreau cherche à dégager l’apport de l’automatisme et à étendre son influence auprès de Breton.»
Gilles Lapointe se dit redevable à Sarah de Bogui, chef de bibliothèque à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales de l’Université de Montréal, qui lui a communiqué la lettre de Gauvreau. Celle-ci provient du Fonds Gilles-Rioux, la plus importante collection publique sur le surréalisme en Amérique du Nord, que la famille de Rioux a léguée à l’Université de Montréal en 1995. Ce collectionneur avait mis la main sur le document à la fin des années 60, à Paris, alors qu’il préparait une thèse sur les rapports entre l’automatisme et le surréalisme.
Défendre l’héritage surréaliste
Même si les surréalistes se reconnaissaient dans le manifeste Refus Global, les artistes automatistes ont toujours refusé d’être avalés par ce mouvement, rappelle l’historien de l’art. «Les automatistes critiquaient la représentation figurative de l’inconscient par les surréalistes et affirmaient que leur démarche sur le plan plastique était plus avancée.»
Contrairement aux autres membres du groupe automatiste, Gauvreau continue, en 1961, de défendre l’héritage surréaliste. «Pour Gauvreau, le surréalisme n’est pas seulement un courant esthético-littéraire, mais une révolution éthique visant la libération totale de l’homme sur les plans psychique, social et politique, observe Gilles Lapointe. Le poète juge alors sévèrement ses compagnons, notamment les peintres Jean-Paul Mousseau et Marcel Barbeau qui, selon lui, auraient opéré une forme de régression en se tournant vers des préoccupations exclusivement plastiques.»
Faire la leçon à Breton
Bien qu’il exprime sa profonde admiration à Breton, «Claude Gauvreau attaque dans la lettre son statut de pape du surréalisme et lui fait la leçon en lui disant qu’il n’est pas infaillible et que le surréalisme doit accepter d’évoluer s’il ne veut pas mourir», note le chercheur. Il défend par ailleurs l’abstraction lyrique en peinture, qui a des parentés formelles avec l’automatisme, et prétend, en citant son propre cas, que la censure à l’égard des artistes est beaucoup plus répandue dans les rangs de la gauche que dans ceux de la droite.
Dans son ouvrage, Gilles Lapointe reproduit un court billet de Gauvreau à Breton, datant de 1956, un autoportrait du poète, ainsi qu’une oeuvre inédite de son frère, Pierre Gauvreau, créée en 1961. «J’ai rencontré Pierre Gauvreau en janvier 2011, quelques mois avant sa mort, précise le professeur. Il m’a offert gracieusement de reproduire dans l’ouvrage un autoportrait de Claude et se disait très heureux de la parution de la lettre.» Le contenu de l’ouvrage sera repris dans un numéro spécial de la revue Études françaises consacré aux poètes Claude Gauvreau et Paul-Marie Lapointe, qui paraîtra en 2012.
André Breton a-t-il répondu à Claude Gauvreau? «On n’en sait toujours rien, dit Gilles Lapointe. Chose certaine, la lettre de Gauvreau représente un nouveau chaînon qui enrichit notre connaissance du mouvement automatiste québécois, dont l’histoire est liée étroitement à celle de notre modernité culturelle.»