Depuis 19 ans, le réputé magazine d’actualité scientifique Québec Science dresse son palmarès des 10 découvertes québécoises de l’année les plus importantes. Habitués de ce palmarès, les chercheurs de l’UQAM font particulièrement honneur à leur institution cette année, avec 4 des 10 découvertes retenues par Québec Science. Voici le portrait de l’une de ces chercheuses, Maryse Bouchard.
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Les eaux souterraines alimentent 20% des résidences québécoises. Or, elles contiennent parfois du manganèse, un métal soluble se trouvant naturellement dans le sol. Selon une étude dirigée par la diplômée Maryse Bouchard (Ph.D. sciences de l’environnement, 2007), professeure associée au Centre de recherche interdisciplinaire sur la biologie, la santé et l’environnement (CINBIOSE) et également chercheuse au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, à partir d’une certaine concentration dans l’eau potable, ce métal aurait des effets négatifs sur les habiletés intellectuelles des enfants.
Cette découverte d’importance surprend la communauté scientifique. «Le manganèse est un élément nutritif essentiel. Il participe à la synthèse d’enzymes et à la fabrication des vitamines E et B1, rappelle Maryse Bouchard. On en consomme de 3 à 5 mg par jour, simplement en mangeant des noix, des céréales ou des légumes verts.»
Les scientifiques savaient, depuis quelques années, que l’inhalation du manganèse était toxique, notamment en sidérurgie. «À forte dose, l’exposition aux poussières de manganèse peut provoquer un syndrome neurodégénératif du même genre que la maladie de Parkinson», explique Maryse Bouchard, qui a soutenu, en 2007, sa thèse de doctorat sur le sujet. Mais jusqu’ici, personne ne soupçonnait la toxicité de ce métal par voie d’ingestion.
Une forte relation
C’est un étudiant à la maîtrise en sciences de l’environnement à l’UQAM, François Laforest, qui, en 2004, a mis le problème en évidence. Sa municipalité était alimentée en eau potable à partir de sources souterraines riches en manganèse. Il s’inquiétait des effets sur la santé de la population. «À cette époque, nous avons effectué une étude pilote chez 46 élèves de l’école primaire», raconte Maryse Bouchard. Les résultats semblaient montrer une forte relation entre la concentration de manganèse absorbée par les enfants et leurs comportements hyperactifs, tels qu’observés par les enseignants. «Pour valider cette hypothèse, ajoute-t-elle, il fallait préparer une étude d’une tout autre ampleur».
Pour ce faire, Maryse Bouchard s’est entourée en 2006 d’une équipe comptant neuf chercheurs provenant de l’UQAM, de l’UdeM et de l’École polytechnique de Montréal. «Je n’aurais pas pu collecter et analyser les données toute seule, confie-t-elle. Je suis donc allée chercher les expertises qui me manquaient en épidémiologie, en traitement de l’eau, en chimie, etc.»
Parmi les membres de cette équipe multidisciplinaire, Donna Mergler, professeure émérite au Département des sciences biologiques et membre du CINBIOSE, ainsi que Thérèse Bouffard, spécialiste du développement cognitif chez les enfants et professeure au Département de psychologie, viennent de l’UQAM.
L’équipe de scientifiques a recruté 362 enfants de 6 à 13 ans, vivant sur la rive-sud du Saint-Laurent dans des résidences approvisionnées par de l’eau souterraine. Les concentrations de manganèse et de sept autres éléments étaient mesurées, d’abord dans l’eau du robinet de chaque résidence, puis dans les mèches de cheveux prélevées sur les enfants. En outre, leurs habilités générales étaient évaluées grâce à des tests de QI, de mémoire et de motricité. «L’étude a également tenu compte d’autres facteurs comme le niveau socioéconomique de la famille, le niveau de stimulation cognitive ou l’alimentation», souligne la chercheuse. La collecte et l’analyse des données ont duré deux ans. «Les résultats sont significatifs : plus les enfants sont exposés à une forte concentration de manganèse dans l’eau, moins bonnes sont leurs performances aux tests d’habilités.»
Des effets mal connus
Les effets du manganèse dans le cerveau de l’enfant ne sont pas encore bien connus. «Ce métal induirait de l’hyperactivité, des déficits d’attention et des difficultés motrices. On n’en sait pas plus pour l’instant», indique Maryse Bouchard, ajoutant que «les effets du manganèse ne sont pas forcément irréversibles». La chercheuse compte d’ailleurs se pencher sur cette question dans un proche avenir.
Pour l’heure, il semblerait pertinent de réglementer les taux de manganèse acceptables dans l’eau potable, comme c’est le cas pour le plomb et l’arsenic. «Depuis que ces résultats sont connus, sur les huit municipalités qui ont participé à la recherche, la plupart ont installé des filtres sur leurs sorties d’eaux, précise Maryse Bouchard, ce qui est plutôt encourageant!»