Quels rapports établir entre la majorité francophone du Québec et les minorités ethnoculturelles et religieuses? Comment concilier le respect des différences et la préservation de valeurs communes? Ces questions sont au centre d’un débat de société qui soulève les passions. Le 3 février dernier, 12 chercheurs universitaires publiaient dans Le Devoir le Manifeste pour un Québec pluraliste. La semaine dernière, un autre groupe d’intellectuels a répliqué par une contre-déclaration intitulée Pour un Québec laïque et pluraliste. Plusieurs parmi les signataires des deux documents sont professeurs à l’UQAM. Pour tenter d’y voir plus clair, le journal L’UQAM a rencontré deux d’entre eux.
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Jacques Beauchemin, professeur au Département de sociologie, est l’un des signataires de la déclaration Pour un Québec laïque et pluraliste. Selon lui, le Manifeste pour un Québec pluraliste est trompeur dans son titre et dans son intention. Il donnerait faussement l’impression que ses auteurs sont les seuls à défendre une vision pluraliste. «Le pluralisme au Québec est un fait sociologique, dit le professeur. Nul ne conteste la liberté d’opinion, d’association ou de croyance. L’enjeu véritable du débat est celui de l’aménagement du pluralisme, de l’articulation des rapports entre majorité et minorités.»
Des a priori opposés
Les auteurs du manifeste professent une vision philosophique libérale du pluralisme, soutient Jacques Beauchemin. «Pour eux, l’individu dans la société est premier. Il faut donc limiter le moins possible sa liberté et ne pas entraver l’expression de sa différence identitaire.» La conséquence logique sur le plan institutionnel, précise-t-il, consiste à vouloir l’accommoder le plus souvent possible, notamment pour des motifs religieux, sauf lorsque les demandes sont manifestement contraires au bien commun, comme ce fut le cas récemment avec l’affaire du niqab au cégep Saint-Laurent.
Jacques Beauchemin se base, lui, sur un autre a priori. «Pour moi, une société n’est pas un agglomérat d’individus. C’est une communauté d’histoire et de culture qui préexiste aux individus et qui possède des institutions publiques capables de les intégrer. Cet espace commun doit transcender les différences individuelles.»
Pour une culture de convergence
Cette position amène le sociologue à privilégier le modèle républicain d’aménagement du pluralisme, qui n’a rien à voir avec la mosaïque culturelle du multiculturalisme. L’approche républicaine combine le respect de droits fondamentaux universels – liberté de parole et d’opinion, droit d’association et de vote, liberté de religion – et l’affirmation d’une identité nationale constituée par une histoire et une culture particulières qui s’incarnent dans des institutions communes à tous.
Jacques Beauchemin défend également l’existence d’une culture québécoise de convergence vers laquelle il faut tendre. Cette culture représente à ses yeux le foyer rassembleur de la diversité. «Elle fait référence notamment à la promotion de la langue française, de la laïcité et de valeurs non négociables, comme celle de l’égalité entre les hommes et les femmes.»
Une charte de la laïcité
Le chercheur ne condamne pas les chartes de droits actuelles mais constate que leur application in extenso produit des effets pervers qui favorisent l’intrusion du particulier dans l’espace commun. «On peut bien, si l’on veut, se promener sur la rue Sainte-Catherine avec une burqa. Mais on s’intègre mal dans la société québécoise si on ne reconnaît pas la légitimité de ses institutions publiques et si on refuse d’en respecter les règles. Exiger d’être servi par un homme ou une femme en raison de convictions religieuses ou aller voter avec le visage voilé n’exprime pas une volonté de participer au vivre-ensemble québécois.»
C’est pourquoi Jacques Beauchemin se prononce en faveur d’une charte de la laïcité pour le Québec. «S’il existe un meilleur outil, qu’on me le démontre. Chose certaine, la demande sociale est forte pour qu’on établisse des règles plus précises permettant d’encadrer l’expression de la diversité religieuse au sein des institutions publiques.»
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Lire aussi l’entrevue avec la professeure Dominique Leydet, intitulée Pour un espace public plus accueillant.