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Pour un espace public plus accueillant

Par Marie-Claude Bourdon

22 mars 2010 à 0 h 03

Mis à jour le 22 novembre 2017 à 14 h 11

Quels rapports établir entre la majorité francophone du Québec et les minorités ethnoculturelles et religieuses? Comment concilier le respect des différences et la préservation de valeurs communes? Ces questions sont au centre d’un débat de société qui soulève les passions. Le 3 février dernier, 12 chercheurs universitaires publiaient dans Le Devoir le Manifeste pour un Québec pluraliste. La semaine dernière, un autre groupe d’intellectuels a répliqué par une contre-déclaration intitulée Pour un Québec laïque et pluraliste. Plusieurs parmi les signataires des deux documents sont professeurs à l’UQAM. Pour tenter d’y voir plus clair, le journal L’UQAM a rencontré deux d’entre eux.

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«Nous avons senti le besoin de publier ce manifeste parce que nous trouvions que le débat adoptait un ton négatif à l’endroit des minorités et que nous souhaitions que celui-ci reprenne sur des bases plus sereines», explique Dominique Leydet, professeure au Département de philosophie et l’une des signataires à l’origine du Manifeste pour un Québec pluraliste. Ce qui inquiète tout particulièrement les «pluralistes»? Le projet défendu par l’Opposition officielle à Québec et certains intellectuels nationalistes d’une charte de la laïcité. «Une charte est un instrument juridique servant à interdire des choses, note la philosophe. Or, nous ne sommes pas sûrs qu’il s’agisse de la meilleure façon de répondre aux problèmes qui se posent actuellement en ce qui a trait aux revendications à caractère religieux.»

Selon les «pluralistes», le gouvernement Charest a eu tort de croire que la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables allait permettre de mettre un terme à cet important débat de société. Dominique Leydet insiste : «Le débat doit se poursuivre.» Comme les autres cosignataires du Manifeste, celle-ci réclame toutefois que ce débat mène à la rédaction d’un livre blanc sur la laïcité, plutôt qu’à une charte. «Un livre blanc permettrait de clarifier les enjeux et de s’entendre sur certains principes, sans avoir la portée contraignante d’une charte», explique-t-elle.

Des sujets complexes

«Si l’idée d’une charte est invoquée comme un mantra, dit la philosophe, c’est parce qu’on pense que son adoption réglerait tous les problèmes et éviterait d’avoir des discussions complexes sur des sujets complexes. Mais il y aura toujours des cas qui soulèveront la controverse. Et dans ces cas complexes, il est clair que la charte poserait des problèmes d’interprétation.»

C’est la raison pour laquelle le débat va nécessairement se poursuivre, croit la philosophe. C’est aussi la raison pour laquelle elle privilégie une approche cas par cas. «En tant que féministe, il y a des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord, souligne-t-elle. Mais est-ce que je souhaite pour autant que le gouvernement les interdise? Pas forcément.»

Signes religieux

Sur la question particulièrement sensible des signes religieux, les «pluralistes» sont d’avis que ceux-ci devraient être permis aux agents de l’État dans la mesure où cela ne les empêche pas d’accomplir leurs tâches. «Il faut faire des distinctions, précise Dominique Leydet. Tout le monde s’entend pour dire qu’une femme juge portant le niqab est inacceptable. Mais le fait de porter un hidjab empêche-t-il une fonctionnaire de bien faire son travail?»

Le modèle républicain à la française peut avoir des effets d’exclusion sur les minorités et risque de rigidifier les différences entre cultures, souligne la philosophe. Le modèle interculturaliste québécois, à l’image du multiculturalisme canadien, est plus ouvert. «Ici, on fait le pari d’avoir un espace public plus accueillant aux traits distinctifs des minorités, de façon à favoriser leur participation à cet espace commun, dit Dominique Leydet. Nous ne voyons pas la société comme un ensemble de minorités. Dans les deux cas, c’est l’intégration qui est visée. Mais le pari sur la façon d’y parvenir est différent.»

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Lire aussi l’entrevue avec le professeur Jacques Beauchemin, intitulée Respecter les règles de la majorité.