Quatorze mairesses et 25 conseillères élues aux élections municipales de 2009 doivent une fière chandelle à Élaine Hémond. Depuis 1998, ces femmes – ainsi que des centaines d’autres – ont réussi, grâce à la formation, à l’accompagnement et au réseautage offert par le groupe Femmes, politique et démocratie, qu’elle a fondé, à accéder à des postes de direction, que ce soit dans les gouvernements ou les milieux socio-économiques.
«Toutes ces femmes possédaient déjà un immense potentiel de leaders; il ne leur manquait que la confiance en elles, affirme la lauréate du Prix Reconnaissance de la TÉLUQ. Je suis fière qu’elles aient concrétisé leur rêve. Tout comme elles, j’ai moi aussi consacré ma vie à repousser les frontières qui m’étaient imposées de l’extérieur.»
Construire des cabanes d’oiseaux
Née à Chicoutimi en 1946, Élaine Hémond se rappelle avec précision la première fois où elle s’est butée à de telles frontières. Elle avait huit ans et se trouvait dans un club similaire à celui des scouts. «Les responsables nous avaient divisés en deux groupes : les garçons construisaient des cabanes d’oiseaux, les filles brodaient des fleurs, se rappelle-t-elle. Je trouvais cela tellement injuste que l’on m’interdise de construire des cabanes d’oiseaux! J’ai quitté le groupe aussitôt.» Cet événement a eu une influence marquante sur sa carrière. «Toute ma vie, j’ai construit des cabanes d’oiseaux; pas pour les enfermer, mais pour les aider à grandir.»
À l’adolescence, alors qu’elle rêve de devenir journaliste, le curé conseille à ses parents de l’inscrire à l’école de secrétariat. Détentrice d’un diplôme qu’elle n’a pas choisi, elle s’inscrit alors au certificat en langue et culture espagnoles à l’Université de Madrid.
À son retour au Québec, deux ans plus tard, Élaine Hémond se retrouve dans une société en pleine effervescence. Elle s’implique à fond dans plusieurs projets, travaillant à l’Expo 67, puis à l’Office franco-québécois pour la jeunesse. C’est là qu’elle tombe amoureuse d’un Français, avec qui elle part vivre un «retour à la nature» en Corse. Restauration d’un vieux couvent, éducation de deux enfants et élevage de poules et de moutons occupent la plupart de ses journées pendant 11 ans. «Ce fut un véritable bonheur d’avoir une vie de famille dans ce contexte extraordinaire», souligne-t-elle.
De retour au Québec, en 1986, elle s’inscrit en journalisme, domaine dans lequel elle travaillera pendant près de 20 ans. Elle fait sa marque en rédigeant des portraits, principalement de femmes. «Je me demandais pourquoi les femmes que j’interviewais, pourtant très brillantes, n’occupaient pas de postes d’influence dans les universités, les banques ou les gouvernements», commente-t-elle.
Cette question la pousse à s’inscrire, à 50 ans, à la maîtrise ès arts à la TÉLUQ, où elle rédige son mémoire sur la formation des femmes en vue de l’engagement démocratique. Son directeur est le professeur Michel Umbriaco, avec qui elle fondera Femmes, politique et démocratie. Le groupe a eu un impact majeur sur la place des femmes en politique : une centaine de ses étudiantes occupent aujourd’hui des postes de direction.
Malgré ces avancées, il y a toujours place à amélioration, souligne la militante. «La place des femmes en politique n’est pas encore ancrée dans les faits, dit-elle. Ce que nous proposons, c’est une formule de mixité 40-60, soit qu’au moins 40 % d’hommes ou de femmes se retrouvent dans chaque gouvernement.»
Leadership international
Depuis deux ans, Élaine Hémond a passé le flambeau de Femmes politiques et démocratie à d’autres femmes. Elle se consacre maintenant à la formation des femmes à l’international. «Je rêve que le Québec affirme son leadership en matière de genre et de gouvernance, dit-elle. Avec tout ce que nous avons accompli au cours des 50 dernières années, nous pouvons être un modèle pour les autres.»
Directrice de la firme de consultation Planète mixte internationale, elle espère que les Haïtiennes, Marocaines, Sénégalaises et Libanaises adopteront leur propre formule de Femmes, politiques et démocratie. Malgré le terrible tremblement de terre qui a secoué le pays en janvier dernier, elle est particulièrement confiante dans l’avenir politique des Haïtiennes. «Après le génocide de 1994, les Rwandaises ont pris leur place, et comptent aujourd’hui parmi les femmes les plus impliquées politiquement au monde. La même chose pourrait se produire en Haïti.»
Pour Élaine Hémond, ce Prix Reconnaissance de la TÉLUQ vient couronner un parcours qui, malgré quelques détours, «n’est pas du tout incohérent». «C’est un énorme bonheur de recevoir ce prix, conclut-elle. La TÉLUQ et Michel Umbriaco ont été la bougie d’allumage de mes réalisations des 15 dernières années.»
Pour connaître les autres lauréats des Prix Reconnaissance : www.prixreconnaissance.uqam.ca