Michèle Lamont a consacré deux années à l’étude des logiques que suivent les membres des comités d’évaluation avant de rendre leur verdict concernant l’octroi d’une subvention ou d’une bourse de recherche. Professeure au Département de sociologie de l’Université Harvard, elle a présenté les conclusions de son étude lors d’une conférence à l’UQAM, le 15 avril dernier.
Pour découvrir ce qui se cache derrière les portes closes des comités d’évaluation, la sociologue a analysé de nombreuses délibérations d’experts aux États-Unis et a interrogé les membres de jurys multidisciplinaires dans divers domaines des sciences humaines et sociales : histoire, littérature, philosophie, anthropologie, économie et science politique. Les résultats ont été publiés dans un ouvrage intitulé How Professors Think : Inside the Curious World of Academic Judgement.
Conceptions différentes de l’excellence
Le processus d’évaluation des demandes de subventions et de bourses soumises par les professeurs et les étudiants comporte différentes étapes, rappelle Michèle Lamont. Les agents de programme des organismes subventionnaires doivent d’abord identifier les évaluateurs appropriés, à la suite d’une consultation. «Ces derniers sont des chercheurs réputés, choisis pour leur parcours de haut niveau (quantité et qualité des publications), et leurs habiletés à interagir», précise la chercheuse.
Les évaluateurs sont en compétition pour imposer leur cadre d’évaluation, car les conceptions de l’excellence scientifique et les critères de son évaluation varient d’une discipline à l’autre. Si les historiens et les économistes parviennent facilement à un consensus sur les projets qui méritent d’être financés, les philosophes ont tendance à douter de la compétence des autres experts pour juger de la qualité des projets dans leur discipline.
Selon Michèle Lamont, «l’évaluation ne peut s’exercer qu’à travers le respect de principes fondamentaux : l’indépendance professionnelle de la recherche, la reconnaissance du pluralisme méthodologique, le respect de l’expertise de chacun dans son domaine de compétence et la nécessité de s’abstenir en cas de lien professionnel ou personnel avec un candidat.»
Une longue tradition
On s’en doutait : les décisions concernant les projets qui seront subventionnés ne sont pas uniquement le fruit d’une démarche rationnelle. Les perceptions, les émotions et les relations interpersonnelles jouent également un rôle lors des discussions. «Certains sont portés à mieux considérer un projet si celui-ci est appuyé par un évaluateur dont ils se sentent proches intellectuellement, observe la chercheuse. Les membres des jurys accordent par ailleurs davantage d’importance à la diversité institutionnelle et géographique qu’au sexe et à l’origine ethnique des candidats. Ils évitent ainsi de favoriser les chercheurs d’une région au détriment d’une autre.»
Ce système fonctionne parce qu’il s’inscrit dans une longue tradition, fortement institutionnalisée, souligne Micheline Lamont. Mais il est loin d’être parfait. «Des échanges de faveurs se produisent parfois et les évaluateurs ont tendance à favoriser les projets qui tombent dans leurs propres champs d’intérêt.» Les membres des comités croient toutefois aux vertus de la délibération libérale, qui permet à chacun de convaincre ses pairs par la force de ses arguments. «Les experts dont les arguments auront le plus d’autorité sont ceux qui seront capables de traverser les frontières disciplinaires, tout en respectant les compétences d’autrui», conclut la sociologue.