Cette année, le Prix Reconnaissance de la Faculté de science politique et de droit est décerné aux deux avocates qui ont défendu avec brio Adil Charkaoui, ce Montréalais d’origine marocaine soupçonné de terrorisme, jusqu’en Cour Suprême – et deux fois plutôt qu’une ! Il s’agit de Me Johanne Doyon, pratiquant principalement en droit de l’immigration et de la citoyenneté, et de l’honorable Dominique Larochelle, alors avocate et aujourd’hui juge à la Cour du Québec.
«L’Affaire Charkaoui est sans contredit pour de nombreux chroniqueurs judiciaires l’une des plus importantes causes des dix dernières années et elle a eu des retombées positives en matière de jurisprudence, non seulement au Canada, mais aussi sur la scène internationale», souligne Me Johanne Doyon, qui a défendu Adil Charkaoui dès son arrestation, en mai 2003. Établi au Canada depuis 1995, Adil Charkaoui a été arrêté en mai 2003 en vertu d’un certificat de sécurité émis contre lui (les certificats de sécurité visent à interdire de séjour sur le territoire canadien une personne qui porte atteinte à la sécurité nationale). Le gouvernement fédéral le soupçonnait d’appartenir à un réseau terroriste lié à Al-Qaïda, ce que M. Charkaoui a toujours nié. «Rapidement, M. Charkaoui a contesté la constitutionnalité du régime législatif et la validité du certificat en Cour fédérale, mais c’est lui qui devait prouver son innocence, car le gouvernement refusait de divulguer la preuve qui soutenait ses accusations, pour cause de menace à la sécurité nationale», explique Me Doyon, qui a dû défendre son client à l’aveugle, pour ainsi dire!
L’avocate a tenu le fort seule – ou presque, quelques collaborateurs ayant donné un coup de main ici et là – jusqu’en novembre 2004 alors que le gouvernement était représenté par trois ou quatre avocats. «C’était très difficile et j’ai dû demander plusieurs remises, le temps d’obtenir la collaboration de collègues en droit de l’immigration», se rappelle-t-elle. Ces collègues se sont ensuite désistés et aucun avocat ne semblait vouloir relever ce défi, sauf Me Dominique Larochelle, qui oeuvrait au Centre communautaire juridique de Montréal en droit criminel. «J’ai trouvé qu’il était important de pourvoir à l’aide juridique demandée et mes fonctions au Centre communautaire juridique de Montréal me le permettaient, alors je me suis proposée pour travailler avec Me Doyon», raconte Dominique Larochelle.
La première chose que les deux avocates préparent ensemble est la quatrième demande de remise en liberté d’Adil Charkaoui, en février 2005. M. Charkaoui doit alors verser une caution de 50 000 $ et il est contraint, entre autres, à porter un bracelet GPS à la cheville.
L’affaire Charkaoui se rend une première fois jusqu’en Cour Suprême en juin 2006. C’est Me Doyon qui plaide en contestant la constitutionnalité des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés concernant les certificats de sécurité. Dans le jugement, rendu en février 2007 – l’arrêt Charkaoui 1 – les juges retiennent un principe essentiel : «…une personne dont la liberté est en jeu doit savoir ce qu’on lui reproche. En l’espèce, ce principe n’a pas été simplement restreint, il a été vidé de sa substance. Comment peut-on réfuter des allégations dont on ignore tout?» «La loi a été jugée inconstitutionnelle et nous avons eu gain de cause», relate Me Doyon.
Dans l’attente de cette décision, une autre procédure se poursuivait en première instance, qui a permis de découvrir que le Service canadien du renseignement de sécurité avait détruit ses notes d’entrevue avec Adil Charkaoui et avait omis de révéler cette information. «Cette situation a donné lieu à une deuxième décision de la Cour suprême, en juin 2008, qui a reconnu qu’il s’agissait d’un bris de l’équité procédurale à laquelle les personnes visées par un certificat de sécurité avaient droit, vu la gravité des conséquences possibles de la procédure sur ces personnes», explique Dominique Larochelle, qui a été nommée juge à la Chambre criminelle et pénale et à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec un an plus tard.
Malgré ces décisions de la Cour suprême, Adil Charkaoui n’était toutefois pas au bout de ses peines, puisqu’il devait faire face à un deuxième certificat de sécurité, déposé par le gouvernement fédéral après qu’il ait modifié sa Loi sur l’immigration.
En octobre 2009, la Cour fédérale a donné raison à Adil Charkaoui, dont le certificat de sécurité a été annulé. Il est aujourd’hui un homme libre grâce au travail de ses deux avocates, diplômées du baccalauréat en sciences juridiques de l’UQAM. Il vient d’intenter une poursuite de 24,5 millions $ contre le gouvernement fédéral afin de laver sa réputation.