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Le parcours d’une résiliente

La lauréate du Prix Reconnaissance UQAM 2010 de la Faculté de communication a choisi de donner la parole aux exclus et aux marginaux.

Par Pierre-Etienne Caza

22 mars 2010 à 0 h 03

Mis à jour le 10 mai 2018 à 11 h 05

Manon BarbeauPhoto: Nathalie St-Pierre

«On dit souvent que la réalité dépasse la fiction. Et c’est vrai!», s’exclame la cinéaste Manon Barbeau, qui cultive depuis longtemps une passion pour le documentaire. «La réalité, poursuit-elle, nous fait souvent de merveilleux cadeaux en cours de tournage. Elle recèle plus de vérité et de richesse que la fiction, qui est limitée dans un cadre strict. En plus, le documentaire permet de susciter la réflexion et de faire évoluer les mentalités!»

La lauréate du Prix Reconnaissance UQAM 2010 de la Faculté de communication, qui se qualifie elle-même de résiliente à cause de son enfance non conformiste, a choisi de donner la parole aux exclus et aux marginaux dès ses premiers courts métrages, en 1975. Elle a toutefois fait sa marque en 1998, avec Les enfants de Refus global, un portrait sévère de ces artistes qui, à l’instar de son père Marcel, signataire du manifeste de 1948, ont fait passer leur carrière avant leurs responsabilités familiales.

Artistes marginaux (Barbeau, libre comme l’art, 2000; Victor-Lévy Beaulieu : du bord des bêtes, 2005), jeunes de la rue (L’Armée de l’ombre, prix Gémeaux du meilleur documentaire, 1999) et prisonniers condamnés à de lourdes sentences (L’amour en pen, 2004) comptent parmi les sujets traités par la cinéaste. «Les exclus parmi les exclus, toutefois, ce sont les autochtones, à cause de leur passé collectif. Je pense qu’il était normal que j’en arrive à travailler avec eux et pour eux», dit-elle.

En 2002, alors qu’elle travaille à un scénario de fiction avec une communauté autochtone de Wemotaci, un accident de la route emporte sa principale collaboratrice, Wapikoni Awashish, âgée de 20 ans. «C’était une jeune femme généreuse et énergique, impliquée socialement, un modèle pour sa communauté. Elle représentait l’espoir pour les jeunes autochtones de son âge.»

Manon Barbeau décide d’abandonner son scénario et de lancer Wapikoni mobile et Vidéo Paradiso. Ces deux unités mobiles de production – des roulottes de 34 pieds dont la chambre a été transformée en salle de montage et la douche en studio de son – vont à la rencontre des jeunes Amérindiens et des jeunes de la rue pour leur permettre de s’exprimer au moyen de clips et de courts métrages. La roulotte de Vidéo Paradiso, un projet-pilote qui a duré trois ans, a été récupérée ensuite pour Wapikoni mobile.

Depuis les débuts de ces deux projets, plus de 1 000 jeunes des Premières Nations – atikamekw, algonquine, innue, mohawk et crie, entre autres – ont produit plus de 300 films portant sur leurs réalités. Ces derniers ont été traduits en plusieurs langues et ont remporté une trentaine de prix à travers le monde, souligne fièrement Manon Barbeau. «Mon but est de briser l’isolement des jeunes autochtones en les mettant en lien avec d’autres jeunes exclus à travers le monde, dit-elle. Je crois beaucoup à la transformation par l’art.»

Intervention sociale et cinéma

«Avec le recul, je m’aperçois que ce que j’ai appris à l’UQAM a semé passion et intérêt chez moi, confie la diplômée du baccalauréat spécialisé en animation culturelle (1974). Et tout m’a été utile! Les notions en cinéma, bien sûr, mais aussi les techniques d’animation qui m’ennuyaient à l’époque, puisque j’ai été appelée à travailler en équipe et à gérer des groupes plus d’une fois. Wapikoni mobile est un projet d’intervention sociale par le biais du cinéma qui s’apparente en tout point à ce qu’on faisait dans les cours d’animation culturelle.»

En parallèle avec son travail de cinéaste, Manon Barbeau a mené une carrière de scénariste. Elle a entre autres scénarisé plus de 200 émissions du Club des 100 Watts, qui lui ont valu cinq prix Gémeaux. «Je dois ces prix à mes propres enfants, avec lesquels je testais mes idées et qui ont constitué mon public cible», raconte-t-elle en riant. Sa fille, Anaïs Barbeau-Lavalette, est aujourd’hui cinéaste documentaire comme sa mère.

Manon Barbeau donne aujourd’hui des ateliers sur la scénarisation et la réalisation, mais ce sont les conférences sur la résilience qui la passionnent le plus. «Avec le recul, je m’aperçois qu’en donnant la parole aux exclus, j’ai construit mon propre parcours de résiliente», conclut la lauréate, qui se dit touchée et flattée par le prix que lui décerne la Faculté de communication.

Pour connaître les autres lauréats des Prix Reconnaissance : www.prixreconnaissance.uqam.ca