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Publication dans Nature Geoscience

Par Dominique Forget

21 septembre 2009 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Elle a beau avoir 3,5 milliards d’années, elle fait encore tourner les têtes. Découverte en Australie, la roche Apex chert fait partie des doyennes de notre planète. Elle cacherait dans ses entrailles quelques-uns des secrets de l’histoire de la Terre. Or, les scientifiques n’arrivent pas du tout à s’entendre sur la lecture qu’on doit faire de ce très vieux caillou. La controverse est alimentée à coups d’articles scientifiques, dont le dernier est signé Daniele Pinti, professeur au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère. Le papier est publié dans la très prestigieuse Nature Geoscience, rien de moins!

L’aventure d’Apex chert débute dans les années 1990, quand William J. Schopf, professeur à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), fait aller son marteau et sa pioche dans le désert Pilbara, en Australie de l’Ouest. Il ne le sait pas encore, mais la roche qu’il met dans sa besace est si unique qu’elle finira son parcours comme pièce de collection, au British Museum de Londres.

Une fois rentré dans son laboratoire, Schopf fait dater sa trouvaille et réalise qu’il s’agit de l’une des plus vieilles roches connues sur Terre. «Apex chert est constituée presque entièrement de silice, explique Daniele Pinti. Mais à l’intérieur, le professeur Schopf a découvert des filaments de carbone. D’où pouvaient-ils venir ? C’est LA grande question à laquelle on tente de répondre.»

Trois chercheurs, trois découvertes

En analysant le rapport isotopique entre le carbone-13 et le carbone-12 à l’intérieur des filaments, William J. Schopf conclut qu’il s’agit de restants de cyanobactéries, aussi vieilles que la roche. Apex chert les aura emprisonnées au moment de sa formation. L’Américain n’y va pas de main morte avec ses conclusions. Il vient, selon lui, d’identifier les plus vieux fossiles connus sur Terre. Et puisque les cyanobactéries sont capables de fixer le carbone par photosynthèse et de produire de l’oxygène, il conclut qu’il y avait bel et bien de l’oxygène sur Terre il y a 3,5 milliards d’années, réglant une question qui turlupinait la communauté scientifique depuis des décennies.

La gloire du chercheur américain est de courte durée. En 2002, le professeur Martin Brasier, de l’Université d’Oxford, jette un pavé dans la mare. Son équipe a analysé la roche, s’intéressant plus spécifiquement aux minéraux côtoyant les filaments. Elle y a trouvé plusieurs métaux, dont du cuivre et du zinc. Une signature typique des sources hydrothermales chaudes. Tout indique qu’Apex chert s’est formée au contact de fluides bouillants, à 250 degrés Celsius, un milieu parfaitement hostile aux cyanobactéries. Les filaments de carbone, selon l’équipe d’Oxford, auraient des origines inorganiques, et ne seraient liés à aucune forme de vie ancienne.

C’est vers 2006 que l’équipe de Daniele Pinti entre en jeu. «Un collègue de l’Institut de Physique du Globe de Paris nous a envoyé des roches provenant de la même formation qu’Apex chert, explique le chercheur du GEOTOP. Nous avons décidé d’étudier non pas les filaments de carbone, mais la composition minéralogique de la roche elle-même. Nous avons découvert plusieurs signes d’altération tardive. Autrement dit, la roche est loin d’être pure. Au cours des 3,5 derniers milliards d’années, elle a subi bien des changements.» Un peu comme un meuble d’époque auquel on aurait changé les pattes et refait le verni. «Ça peut facilement fausser l’interprétation des données.»

«Jeunes» bactéries

À l’aide du microscope électronique installé au Laboratoire de microanalyses, micromanipulations et cryo-observations (LAMIC) du GEOTOP, capable d’observer des structures de l’ordre de 500 nanomètres (1 millimètre découpé en 2 000 morceaux), Daniele Pinti a détecté des formes étranges, qui n’avaient rien à voir avec la minéralogie de la roche. «Les roches sont issues de structures cristallines et sont donc très géométriques. Ici, on avait quelque chose de complètement différent.»

Le chercheur a découvert qu’il s’agissait de traces laissées par de très vieilles bactéries. Mais pas aussi anciennes que le professeur Schopf l’aurait souhaité. «Il y a 3,5 milliards d’années, les bactéries prenaient la forme de simples bâtonnets. Aujourd’hui, elles ont évolué et ont des ramifications. Celles que nous avons trouvées pourraient avoir 1 ou 2 milliards d’années. Sûrement pas plus.»

La contamination de la roche par de «jeunes» bactéries et son altération due à différents phénomènes terrestres remettent sérieusement en question les interprétations des professeurs de UCLA et d’Oxford. «Parfois, les chercheurs veulent tellement démontrer leur hypothèse qu’ils oublient de regarder le tableau d’ensemble», dit le professeur Pinti.