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Les Guerrilla Girls à l’UQAM

Par Marie-Claude Bourdon

30 novembre 2009 à 0 h 11

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Il y a 20 ans, par un jour d’hiver froid et venteux, Marc Lépine entrait dans les locaux de l’École Polytechnique et abattait 14 jeunes femmes, coupables à ses yeux d’avoir été étudiantes dans un domaine réservé aux hommes, le génie. Vingt ans plus tard, l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), en collaboration avec la Galerie de l’UQAM, la Fédération des femmes du Québec et d’autres partenaires, organise une série d’événements commémoratifs pour faire le point sur la mémoire de cette tragédie qui a bouleversé le monde.

Parmi ces événements, un colloque international permettra de réfléchir aux significations sociales, historiques et philosophiques de la tuerie, alors que la Galerie présentera une exposition d’artistes américaines, les Guerrilla Girls, inspirée par le thème de la violence contre les femmes… et les féministes. «Reconnues à l’échelle internationale pour leurs interventions humoristiques cinglantes, les Guerrilla Girls s’intéressent depuis les débuts de leur pratique artistique, dans les années 80, à des thèmes comme les droits des femmes et la violence envers les femmes», explique Mélanie Boucher, doctorante en histoire de l’art et commissaire de l’exposition.

Ce collectif d’artistes anonymes qui se présentent aux vernissages affublées de masques de gorilles est né en réaction à une exposition du Musée d’art moderne de New York qui avait présenté une image discutable des femmes. «Ces artistes revendiquent la place qui devrait être faite aux femmes dans l’histoire de l’art et que ceux qui font cette histoire leur ont toujours refusée», précise la jeune commissaire.

Une œuvre inédite

L’exposition Troubler le repos /Disturbing the Peace, qui se tiendra du 4 au 19 décembre, contient une vingtaine de pièces et retrace le parcours de ces artistes reconnues pour leurs affiches qui s’exposent autant dans la rue que dans les galeries. À l’occasion de leur première visite à Montréal, les Guerrilla Girls ont créé une œuvre qui se veut une commémoration de la tuerie du 6 décembre 1989. «L’œuvre inédite intègre des éléments du drame et permet de le mettre en contexte dans une histoire plus vaste de misogynie et de haine envers les féministes», commente Mélanie Boucher.

«On a dit des féministes qu’elles avaient causé la détresse de Marc Lépine et aussi qu’elles avaient récupéré la tragédie de Polytechnique, mais on a souvent négligé de préciser que ce crime était marqué du sceau de la haine des féministes», rappelle Mélissa Blais, membre du comité scientifique qui a organisé le colloque et auteure du livre à paraître ces jours-ci intitulé «J’hais les féministes!»: le 6 décembre 1989 et ses suites (Remue-Ménage). Basé sur son mémoire de maîtrise, l’ouvrage s’intéresse à la construction de la mémoire collective des événements de Polytechnique à travers les médias.

Une mémoire en conflit

«La mémoire de Polytechnique est une mémoire en conflit, souligne la doctorante en sociologie, professionnelle de recherche à l’IREF. Tout de suite après la tragédie, on sent dans les médias l’urgence de se doter d’une mémoire collective – qui présente l’acte du tueur comme «le geste d’un fou» – et la volonté de marginaliser le mouvement féministe.»

Si les féministes se sont mobilisées depuis 20 ans pour garder vivante la mémoire de Polytechnique, il a toujours été difficile de faire reconnaître le geste du tueur comme un acte misogyne et antiféministe, surtout dans le contexte de la montée du discours masculiniste. «Le film Polytechnique, qui reprend des thématiques comme le suicide des jeunes hommes, leur échec scolaire et l’absence du père, s’inscrit dans ce contexte», observe Mélissa Blais. À côté de présentations sur la mémoire collective et sur la prévention de la violence, le colloque comportera d’ailleurs un axe consacré au masculinisme et à l’antiféminisme. «L’idée est de faire un bilan de la recherche sur la violence contre les femmes, mais aussi sur les pratiques d’intervention, sur ce qu’on fait et ce qu’on pourrait faire autrement», précise la jeune chercheuse. Organisé en collaboration avec le Service aux collectivités, le colloque fera une large place aux groupes de femmes.

Une autre exposition, organisée par le collectif Muséografik, sera présentée dans le foyer de la salle Marie-Gérin Lajoie pendant la durée du colloque, du 4 au 6 décembre, et permettra aux visiteurs de replonger dans la tempête médiatique qui a suivi le drame à l’aide d’archives visuelles et sonores de l’époque. Le 5 décembre, un concert commémoratif sera offert par le Centre de musique canadienne au Québec et Maestra, alors que le 6 décembre, un grand rassemblement appelé par la Fédération des femmes du Québec aura lieu à la Place Émilie-Gamelin pour commémorer l’assassinat des 14 jeunes femmes et revendiquer la fin de la violence faite aux femmes.