Dans un procès civil intenté par un patient qui affirme avoir attrapé une maladie nosocomiale dans l’établissement où il a été soigné, qui a le fardeau de la preuve? Est-ce l’hôpital qui doit démontrer qu’il n’a pas été négligent ou la victime qui doit faire la preuve de la négligence de l’hôpital? «Si c’est l’hôpital qui est responsable de faire la preuve qu’il a pris les précautions appropriées pour éviter la situation qui lui est reprochée, d’un point de vue économique, ça ne crée pas du tout les mêmes incitations», observe Claude Fluet.
Professeur au Département des sciences économiques et lauréat du Prix de la recherche «Carrière» de l’ESG, Claude Fluet s’intéresse depuis plusieurs années à l’économie des procédures judiciaires, un domaine peu défriché dans lequel il fait figure de pionnier au Québec. «Quand j’ai commencé, il y avait une littérature assez bien développée aux États-Unis qui appliquait les outils de la microéconomie à des domaines, comme la responsabilité civile, qui, traditionnellement, n’étaient pas pris en compte par les économistes, explique-t-il. Personnellement, j’avais un intérêt pour la chose juridique.»
La loi ou le marché
Par opposition aux macro-économistes, préoccupés par les grandes tendances du marché, les micro-économistes se consacrent à l’analyse des décisions des entreprises ou des ménages, ainsi qu’à des domaines comme l’économie de l’environnement, caractérisés par des interactions qui ne sont pas régulées par le marché. «C’est ce que l’on appelle les externalités, précise le professeur : les taxes qu’on ajoute sur certains produits pour financer le recyclage ou encore les amendes qu’on peut imposer pour bannir certains comportements polluants. Beaucoup de ces externalités qui ne sont pas régies par la loi du marché sont en fait régulées par le système légal.»
Au début de ses recherches en économie du droit, Claude Fluet s’est penché sur la responsabilité civile, qui permet de poursuivre un individu pour les dommages qu’il cause à autrui. «L’anticipation de la possibilité d’être poursuivi a des effets sur les comportements de précaution, souligne l’économiste. On essaie d’éviter de se mettre dans une situation où l’on aura à payer les pots cassés en vertu d’une poursuite en dommages et intérêts.»
L’un des effets pervers du système d’assurance-automobile adopté au Québec dans les années 70, le fameux système no fault, a été de déresponsabiliser les conducteurs, affirme le chercheur. «Depuis, on a corrigé le tir avec des mesures telles que les points de démérite, la lutte contre l’alcool au volant et la tarification du permis en fonction du dossier du conducteur.»
L’économie de la preuve
De l’économie du risque et de l’assurance, Claude Fluet est passé à celle de la preuve. «Les Américains ont une culture du litige, notamment en matière d’accidents thérapeutiques, beaucoup plus développée que les Européens, entre autres parce que l’exigence concernant la preuve, dans les procès civils, est beaucoup moins élevée aux États-Unis qu’en Europe, illustre-t-il. Cela a des conséquences : plus de poursuites, plus de tests et de procédures prescrits par les médecins pour se protéger, ce qui se traduit par une augmentation des coûts de santé.»
Au cours de sa carrière, Claude Fluet s’est intéressé à une variété de sujets, de l’efficacité des sanctions et règlementations jusqu’à des phénomènes tels que le money burning, les dépenses de publicité somptuaires faites par certaines entreprises pour lancer un produit. Embauché à l’UQAM en 1983, le professeur a publié, au fil des ans, de nombreux articles, dont une dizaine dans des revues reconnues internationalement (Rand Journal of Economics, Economic Theory, European Economic Review, International Review of Laws and Economics, Journal of Risk and Uncertainty, etc.). Il a reçu en 2005 un doctorat honorifique de l’Université de Nancy en France.
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Les prix Relève
Deux prix de la recherche Relève, décernés à des professeurs qui ont débuté leur carrière depuis moins de sept ans, ont été attribués à Arianna Degan, également du Département des sciences économiques, et à Pierre Hadaya, du Département de management et technologie.
Arianna Degan s’intéresse à la microéconomie appliquée, à l’économie publique et à l’économie politique. Ses recherches actuelles concernent le rôle de l’information sur le suffrage lors des élections. Elle a publié des articles à ce sujet dans des revues telles que International Economic Review et Journal of Economic Theory.
Les principaux intérêts de recherche de Pierre Hadaya se situent à l’intersection du management des systèmes d’information, de la stratégie d’affaires et du design interorganisationnel. Ses recherches lui ont valu un rayonnement international, comme en attestent les nombreux articles qu’il a publiés et les conférences internationales auxquelles il a participé.