Arthur Villeneuve, l’artiste fou qui a transformé sa maison de Chicoutimi en une immense fresque d’art naïf, est devenu une célébrité internationale. Mais il n’est pas le seul à produire des oeuvres autodidactes qui se situent en dehors de tous les courants de l’art contemporain. Aujourd’hui doctorante au Département d’histoire de l’art, Valérie Rousseau complétait une maîtrise sur l’art amérindien quand elle a découvert l’univers de ces artistes de la marge. L’envoûtement a été immédiat. «Depuis, je n’ai cessé de m’intéresser à leurs oeuvres qui détonnent dans le paysage, dans leur milieu social et par rapport à l’art contemporain», dit la jeune femme.
Pour assurer le rayonnement et la reconnaissance des pratiques associées à cette forme d’art qu’on appelle aussi art brut ou art populaire, Valérie Rousseau a créé en 1998 la Société des arts indisciplinés. La Société organise des expositions, des colloques et des conférences sur le sujet, tout en s’occupant de documenter les œuvres québécoises et canadiennes associées à ce secteur culturel. L’an dernier, sa fondatrice publiait aux éditions du Musée canadien des civilisations la somme de ce travail de documentation, sous le titre Vestiges de l’indiscipline. Environnements d’art et anarchitecture, un ouvrage qui offre, grâce à de nombreuses photographies, une immersion totale à l’intérieur de ces œuvres aussi foisonnantes qu’étonnantes.
De Montréal à Charlevoix
Pour écrire ce livre, Valérie Rousseau a rencontré à plusieurs reprises sept créateurs autodidactes (ou leurs héritiers), dans les sites qu’ils ont créés, que ce soit à Montréal, en Beauce, à Chicoutimi ou dans Charlevoix. «Ils reçoivent beaucoup de touristes qui s’arrêtent pour jeter un coup d’oeil ou prendre des photos, alors ils sont habitués au regard des autres, commente la jeune femme. Mais ils étaient intrigués et contents que je les prenne au sérieux.»
Malgré l’apparence souvent joyeuse de leur production, il y a toujours eu un événement déclencheur de la création dans la vie de ces artistes. «Un accident, une blessure, une insatisfaction les mène à vouloir réinventer le monde», souligne Valérie Rousseau. Léonce Durette, un artiste dont la maison et le jardin croulent littéralement sous les objets sculptés – animaux, masques, oiseaux, modules abstraits, frises et totems -, explique que prendre un morceau de bois dans ses mains est bon pour sa santé. «Ça empêche d’avoir toutes sortes d’idées folles», confie-t-il à la chercheuse.
Des microcosmes
Les environnements d’art indiscipliné sont rarement figés. Les sculptures bougent, s’abîment à cause des intempéries, sont remplacées, les peintures s’écaillent, sont refaites, retravaillées. «Ce sont de petits musées personnels en constante évolution, observe l’historienne de l’art, et il est difficile d’extraire les créateurs de leur univers. Quand je leur offrais d’aller prendre un café quelque part, ils refusaient souvent. Ces gens-là vivent en autarcie dans le microcosme qu’ils se sont créé et ils n’aiment pas en sortir.»
Rencontrer ces artistes et tenter de comprendre leur démarche nous permet d’élargir notre compréhension de l’art dans une perspective anthropologique, affirme Valérie Rousseau. «Ce ne sont pas des artistes de fin de semaine. Leur pratique est un engagement total, complet. Ils vivent avec une grande intensité cette compulsion, cette obligation de créer qui les habite.»