Le 25 juin 2005, il faisait chaud à Montréal : 33,56° C dans le quartier du Mile End. Mais juste à côté, sur la montagne, la température était beaucoup plus supportable : 24,86° C. «Dans une même ville, les températures varient facilement de 10° C d’un quartier à l’autre», confirme Yves Baudouin, directeur du Département de géographie et spécialiste des îlots de chaleur urbains.
Au cours des dernières années, Yves Baudouin a effectué des recherches sur les îlots de chaleur de la région de Montréal, en grande partie grâce aux images satellitaires qui permettent de dresser le portrait thermique des différents secteurs de l’agglomération. L’une de ces recherches, subventionnée par le Fonds d’action pour les changements climatiques, a permis d’identifier les secteurs où des interventions devront être menées en priorité en cas de grande canicule. Un atlas des îlots de chaleur a été fourni au Centre de sécurité civile de la Ville de Montréal. «Dans les périodes de chaleur accablante, ce sont les jeunes enfants, les malades et les personnes âgées qui sont les plus vulnérables, mentionne le professeur. Comme on l’a vu à Paris lors de la canicule de l’été 2003, la situation peut devenir critique. Il s’agit d’un objet de préoccupation de plus en plus important pour les municipalités.»
Minéralisation des espaces verts
À Montréal, mais aussi à Laval, Terrebonne ou Longueuil, on commence à s’intéresser à la problématique des îlots de chaleur, ces zones urbaines où la température s’élève de 5 à 10° C au-dessus de la moyenne environnante. Yves Baudouin a présenté à de nombreux élus municipaux les résultats d’une autre recherche, menée conjointement avec l’Université de Montréal pour le compte du Conseil régional de l’environnement de Laval. Cette recherche, qui couvre l’ensemble de la région métropolitaine, a permis d’étudier l’évolution du comportement thermique des différents secteurs depuis 20 ans en lien avec l’occupation du sol, la réduction des espaces verts et la transformation du territoire.
En jargon du métier, ce sont les secteurs les plus «minéralisés», ceux où règnent l’absence de végétation, l’asphalte, les grands bâtiments commerciaux et industriels, qui constituent les pires îlots de chaleur. «On les trouve dans les villes, bien sûr, mais l’étude a montré que les banlieues sont loin d’être toujours des havres de fraîcheur, dit Yves Baudouin. La présence industrielle, la multiplication des centres d’achats et des immenses stationnements de surface a augmenté la température de plusieurs municipalités de banlieue.»
La minéralisation de l’espace urbain crée aussi des problèmes d’accumulation d’eau et d’inondation lors de fortes pluies. «La végétation permet d’absorber une partie des eaux de pluie, note le professeur. Un volet de la recherche a porté sur la façon dont on pourrait utiliser les surfaces végétales pour permettre une meilleure perméabilité des sols et en même temps diminuer le problème des îlots de chaleur.»
Une nouvelle expertise
L’expertise développée à l’UQAM autour de la problématique des îlots de chaleur a permis de diplômer près d’une dizaine d’étudiants à la maîtrise. «C’est positif, car il n’y a pas beaucoup d’expertise dans ce domaine, souligne le directeur du Département de géographie. Et il n’y en a pas beaucoup non plus dans les milieux municipaux, là où les décisions se prennent.»
Pour combattre les îlots de chaleur, la préservation des espaces verts est une priorité. Mais il ne suffit pas de planter des arbres pour atténuer le problème. Sur un territoire donné, on sait qu’on obtiendra un effet moins grand si on disperse les espaces de verdure que s’ils sont concentrés. «Le choix des matériaux utilisés dans la construction joue aussi un rôle important, dit Yves Baudouin. Les couleurs foncées augmentent l’absorption de la chaleur.» Il faut également privilégier les stationnements souterrains ou à étages plutôt que les grandes surfaces d’asphalte et offrir un couvert végétal aux constructions. Les surfaces végétalisées – non seulement les toits verts, mais les façades recouvertes de vigne ou de lierre, les bordures, les rangées d’arbres et les arbustes – sont aussi des éléments bénéfiques.
«Ce qui cause les îlots de chaleur, c’est le développement immobilier et on ne peut pas l’arrêter, dit le professeur. Mais nous voulons proposer aux décideurs des outils pour faire un suivi des pratiques d’aménagement qui permettent vraiment de réduire le problème.»
Quand des mesures adéquates sont prévues dès l’étape de la planification, on peut améliorer grandement le bilan thermique d’un projet urbain sans que cela n’augmente les coûts de façon prohibitive. «Selon les données modélisées du Consortium Ouranos, même si on cessait de développer le territoire montréalais, ce qui est impossible, on constaterait d’ici le prochain siècle une augmentation de la température et un accroissement des îlots de chaleur, dit Yves Baudouin. D’où l’importance de miser sur de bonnes pratiques d’aménagement.»