On ne peut pas accorder des droits à Mickey Mouse et ne pas en accorder à ceux qui fabriquent Mickey Mouse», ironisait récemment un activiste américain à propos des traités d’accords commerciaux. «Ces traités comportent des règles très claires en ce qui concerne la protection des investissements et de la propriété intellectuelle, mais pour ce qui est des normes du travail, cela est beaucoup moins vrai», dit Christian Deblock, professeur au Département de science politique et organisateur, avec sa collègue Michèle Rioux, d’Humaniser le commerce, un colloque international qui se tiendra les 7 et 8 avril, à l’Hôtel Omni de Montréal.
Le but du colloque, c’est de «faire une sorte de cartographie de la gouvernance globale du travail à travers le monde et de dresser un inventaire des initiatives adoptées dans ce domaine pour déterminer celles qui sont le plus efficaces et qui pourraient servir de modèle», explique Michèle Rioux. Des négociateurs de Ressources humaines et Développement social Canada, qui a donné son appui au colloque, seront présents, de même que des négociateurs des États-Unis, de l’Europe et de la Nouvelle-Zélande.
Règlementation du travail
Depuis les années 90, on a commencé à introduire des normes en matière de règlementation du travail dans les accords bilatéraux et régionaux conclus entre les pays. Mais ces clauses, multiples et disparates, n’ont pas la portée des règles édictées dans le domaine financier, par exemple. «On invoque la difficulté des États de s’entendre et la volonté des États du Sud de protéger leur souveraineté pour justifier le fait que de telles normes ne sont pas incluses dans les traités internationaux», explique le professeur.
Pourtant, on aurait tort, selon lui, d’ignorer ces nouvelles formes de gouvernance du travail qui apparaissent en marge des instances internationales comme l’Organisation internationale du travail (OIT). «Aux États-Unis, la majorité démocrate au Congrès a forcé la renégociation des accords commerciaux avec les pays étrangers pour tenir compte des droits du travail», dit Christian Deblock. Au Canada, les accords conclus récemment avec le Pérou et la Colombie contiennent également des dispositions sur la protection des travailleurs.
«On pourrait penser, minimalement, à une entente entre les pays de l’OCDE, comme cela s’est fait pour la propriété intellectuelle, dit la professeure. Si on veut avoir un impact, il faut un minimum de convergence entre les approches et il faut viser la multilatéralité, de manière à envoyer des signaux clairs aux pays qui veulent faire partie des accords sur le commerce.»
Accusés de tenir une position protectionniste envers les travailleurs du Nord, les défenseurs de l’introduction de normes du travail plus contraignantes dans les traités commerciaux se voient aussi taxés d’impérialisme par les pays en développement. «Certains, comme le Chili, sont très ouverts, dit Christian Deblock. Mais d’autres, comme l’Inde et la Chine, s’opposent fortement aux normes qui viennent des pays du Nord.» Selon le professeur, «on doit amener les pays en développement à voir qu’il est possible de concilier le commerce, la croissance et l’amélioration des conditions des travailleurs, mais pour cela, il faut que le commerce apporte des éléments de justice.»
Des mesures incitatives
«C’est justement pour cette raison qu’il faut améliorer les accords, afin que les pays du Sud sentent qu’ils vont en bénéficier, et non pas perdre davantage», dit Michèle Rioux. Le problème, note-t-elle, c’est que les accords sanctionnent des États alors que ce sont des entreprises qui sont responsables des conditions de travail. Mais certaines initiatives permettent de contourner ce genre de difficulté. Ainsi, un accord spécifique sur le textile conclu entre les États-Unis et le Cambodge prévoit une augmentation des quotas d’importation si les conditions de travail sont rehaussées. «C’est une manière incitative de convaincre les entreprises de s’impliquer afin que l’accord ait des effets réels», souligne la professeure.
Le colloque Humaniser le commerce s’inscrit dans le cadre du projet Gouvernance globale du travail, l’une des activités centrales du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM), dont le but est de réconcilier la libre circulation des biens et des investissements avec la promotion des normes du travail. Une cinquantaine de conférenciers sont attendus, dont Susan Aaronson, de l’Université George Washington, Richard Feinberg, de l’Université de Californie à San Diego, Carol Pier de Human Rights Watch, Richard Samans, du Forum économique mondial et James Howard, directeur de la Confédération syndicale internationale. «Des universitaires, des négociateurs, des militants et des membres d’organisations internationales qui s’intéressent à la protection des travailleurs auront l’occasion de mettre leurs connaissances en commun lors de cet événement qui donne une excellente visibilité internationale à l’UQAM», note Christian Deblock.