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Pour se mettre en appétit

Par Pierre-Etienne Caza

17 mars 2008 à 0 h 03

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

La croyance est fort répandue à l’effet qu’il n’existe que quatre types de goût concernant la nourriture : le sucré, le salé, l’acide et l’amer. Mais savez-vous que ces catégories sont typiquement occidentales et donc culturelles? En effet, les Chinois, par exemple, en distinguent une cinquième, l’âcre, tandis que les Indiens en connaissent deux de plus que les nôtres : le piquant et l’astringent. Quant à la croyance voulant que ces catégories de goût soient liées à des zones précises sur la langue, oubliez tout ça! La réalité est plus complexe et les études sur le sujet foisonnent. Voilà le genre de découvertes qu’espère partager avec les étudiants le professeur du Département d’études urbaines et touristiques, M. Jean-Pierre Lemasson, à l’origine de la création du nouveau certificat en gestion et pratiques socioculturelles de la gastronomie.

Inspiré ouvertement des programmes offerts par le mouvement slow food de l’Université des sciences gastronomiques de Pollenzo, en Italie, le certificat de l’UQAM sera offert dès l’automne prochain aux étudiants à temps complet ou à temps partiel. «Il s’agit d’un programme multidisciplinaire unique au Québec et au Canada, souligne fièrement Jean-Pierre Lemasson. Il fait appel non seulement à la biologie, à la chimie et au marketing, mais aussi à l’anthropologie, à l’histoire, à la sociologie et à la psychosociologie.»

Le mangeur et son plaisir

L’un des fondateurs de la gastronomie moderne, Jean Anthelme Brillat- Savarin, a défini celle-ci comme étant l’étude de l’ensemble des systèmes de production, de transformation et de consommation des aliments, qui doivent favoriser la conservation des hommes. et leur plaisir, aime rappeler le professeur Lemasson. «Pourtant, lorsqu’on parle d’agroalimentaire au Québec, on ne parle que de production, qui relève de l’agronomie, ou de nutrition, qui relève de la chimie, déplore M. Lemasson. Il n’existe rien pour penser l’alimentation hors de ces disciplines.»

C’est un véritable paradoxe, selon lui, car le plaisir, omniprésent dans les émission de cuisine par exemple, est complètement évacué du discours sur la santé ou des quelques rares approches critiques universitaires. «Tout ce qui en ressort est une angoisse sans cesse croissante liée à la crise du modèle industriel agroalimentaire», ajoute-t-il.

Le professeur a donc voulu replacer le mangeur au coeur même du phénomène gastronomique. Un exemple : l’un des cinq cours qui ont été créés pour ce nouveau programme s’intitule «La nourriture et le mangeur.» «Nous allons nous intéresser à ce que signifie manger au niveau psychosociologique et culturel», précise M. Lemasson. Le cours «Goûts et analyses sensorielles», lui, s’attardera aux dimensions neuro-physiologiques et culturelles impliquées dans la perception des goûts. Les étudiants y acquerront le vocabulaire exact pour décrire les différents goûts, comme le font depuis belle lurette les oenologues pour décrire le vin.

Un cours pour tous

Ce certificat est né de l’engouement pour les deux cours libres créés il y a quatre ans par le professeur Lemasson, «Gastronomie et société» et «Tourisme gourmand», qui attiraient une clientèle hétéroclite composée d’étudiants de tous les secteurs de l’UQAM et de gens sur le marché du travail, principalement dans le domaine de l’alimentation.

Les étudiants pourront choisir parmi deux spécialisations : Gestion et mise en marché de l’alimentaire, axée sur la commercialisation, ou Tourisme, qui abordera par exemple la problématique du terroir.

M. Lemasson croit que les futurs étudiants de ce nouveau certificat seront encore plus nombreux à provenir du marché du travail – cuisiniers, distributeurs, etc. «Il y a beaucoup de gens qui possèdent des savoir-faire mais qui désirent prendre un peu de recul et réfléchir aux enjeux de l’alimentation, dit-il. Ce certificat ne répondra pas à toutes les questions, mais il leur permettra d’amorcer à coup sûr une véritable réflexion de fond.» Le professeur prévoit aussi organiser un colloque en octobre 2008, qui s’intéressera aux relations entre gastronomie et médias de masse.

«Dans les cours libres que j’ai donnés, il y a toujours environ 10 % d’adultes qui viennent seulement par plaisir, parce que ce genre de cours leur donne l’eau à la bouche», conclut M. Lemasson en riant.