Voir plus
Voir moins

Policier, étudiant et… concepteur!

Par Claude Gauvreau

28 avril 2008 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Tout a commencé sur le coin d’une table de cuisine. Pierre Renaud, policier à la Sûreté du Québec, cherchait un moyen de stimuler son fils de 6 ans à apprendre à lire. Avec un morceau de carton et des crayons couleur, il bricole un jeu de société en s’inspirant du matériel pédagogique de l’école primaire que fréquente son garçon. Et ça marche! Trois ans plus tard, en 2005, son jeu éducatif baptisé Récréation est commercialisé. Aujourd’hui, il est vendu à travers le Canada et l’Association des consommateurs du Québec le recommande dans son Guide annuel des jeux publié par le magazine Protégez-Vous!

Le succès remporté par Récréation lui donne une autre idée. Épaulé par des professeurs de l’UQAM, de l’Université de Montréal et l’Association des orthopédagogues du Québec, il lance en décembre 2007 le premier Concours national de lecture, basé sur le jeu Récréation, auquel participent 2 500 élèves d’écoles primaires situées dans les milieux les plus défavorisés du Québec. «Nous avons misé sur une approche ludique pour accroître l’intérêt des enfants pour la lecture», explique le policier qui a présenté récemment le bilan de cette expérience au Congrès de l’Association québécoise des troubles d’apprentissage.

Étudiant à la maîtrise en éducation à l’UQAM depuis septembre dernier, Pierre Renaud rappelle que les habiletés de base en lecture sont une des composantes essentielles du développement cognitif et langagier. L’acquisition se fait au cours des trois premières années du primaire et conditionne la plupart des apprentissages subséquents. Malheureusement, ajoute-t-il, «les enfants issus de familles défavorisées sont deux fois plus susceptibles d’accuser un retard à ce chapitre que ceux provenant de familles mieux nanties.»

Poursuivant ses études à temps partiel, le policier coordonne également le programme provincial d’intervention en milieu scolaire de la Sûreté du Québec, destiné à combattre la violence, la drogue et le taxage. «J’aime avoir un impact positif sur les jeunes, dit-il. C’est ce qui m’a conduit vers le monde de l’éducation.»

Apprendre à lire tout en s’amusant

Récréation repose sur les mots-étiquettes, méthode d’apprentissage de la lecture utilisée au premier cycle du primaire. Il s’agit de petits carrés de carton sur lesquels on peut lire le mot à apprendre au recto et voir l’illustration correspondante au verso. «L’enfant reconnaît globalement un groupe de lettres formant un mot et l’associe à l’illustration mémorisée», explique M. Renaud.

Le jeu comprend 250 mots-étiquettes et comporte un parcours dont la case départ est une école et la case d’arrivée… un parc d’amusement. C’est la lecture et l’épellation correctes des mots qui permettent aux joueurs d’avancer. Si l’enfant lit bien, il peut avancer en épelant le mot, franchissant autant de cases qu’il y a de lettres. On trouve aussi des cases qui font avancer ou reculer : tu as dérangé les autres pendant la classe, recule de deux cases… tu as eu zéro faute dans ta dictée, avance de trois cases.

«Le pédagogue et philosophe américain John Dewey avait compris au début du siècle qu’il fallait intégrer les contenus des apprentissages dans une expérience concrète et signifiante pour l’enfant. Récréation s’inspire de cette idée», souligne M. Renaud.

Un outil pédagogique complémentaire

L’été dernier, le policier Renaud a consacré ses vacances à l’organisation du premier Concours national de lecture. Mais ça valait le coup, affirme-t-il. «Des enseignants dont les écoles avaient participé au concours m’ont dit que le jeu était devenu un outil pédagogique complémentaire, à la fois stimulant et efficace. D’autres m’ont raconté que les enfants le réclamaient lors des périodes de jeux libres. Une directrice d’école à Montréal m’a même confié qu’un élève, particulièrement silencieux depuis deux ans, s’était mis à parler pour jouer à Récréation

Une deuxième édition du concours, s’adressant toujours aux élèves de milieux défavorisés, aura lieu en décembre prochain. «Je veux mesurer l’impact de la compétition sur la motivation des enfants pour la lecture, ce qui constituera l’objet de mon mémoire», dit l’étudiant. Pour ce faire, il effectuera de l’observation de terrain pendant le déroulement du concours et organisera des groupes de discussion avec des élèves et des enseignants.

Avec le recul, Pierre Renaud se dit qu’il a eu raison de persévérer. «J’ai eu aussi la chance de rencontrer des professeurs qui m’ont encouragé à faire des recherches et à m’inscrire à la maîtrise en éducation, même si je n’avais aucune expérience en enseignement. Qui sait, peut-être que j’ai été pédagogue dans une vie antérieure?»

Épilogue : le fils de Pierre Renaud a maintenant 12 ans et lit plus que son père!