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Pleins feux sur le Grand Nord

Par Dominique Forget

15 septembre 2008 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Kuujjuaq, Nunavik. 26 août 2008. Une poignée de chercheurs venus des quatre coins de l’Europe et du Canada s’installe pour passer la nuit dans des lits de camp, montés à l’improviste dans le gymnase d’une école. L’avion qui devait les ramener à Montréal est cloué au sol. Et les deux hôtels de la ville sont monopolisés, ironiquement, par les participants à une conférence sur la sécurité civile.

Kuujjuaq ne devait être qu’une escale de quelques heures. Les chercheurs sont arrivés le matin de Kangiqsujuaq, plus au nord, où ils ont passé cinq jours à discuter de leur passion commune : le tourisme polaire. À l’initiative d’Alain A. Grenier, professeur au Département d’études urbaines de touristiques et directeur du Réseau international de recherche en tourisme polaire, ils ont profité d’un programme bien chargé, excursion au nouveau parc national des Pingualuit comprise.

Ils ont eu de la chance. Leurs collègues de Terre-Neuve n’ont jamais pu se rendre à la conférence. C’est qu’à cette latitude, les avions ne peuvent se fier aux radars. Dès que le brouillard se lève, il faut renoncer à voyager. Les Terre-Neuviens ont dû faire demi-tour avant d’arriver à Kangiqsujuaq.

Ils ont eu de la chance donc. Jusqu’à aujourd’hui… «On n’est pas trop déstabilisés de dormir ici, s’amuse Alain A. Grenier. Après tout, on est des experts en tourisme polaire. On sait que l’imprévu est toujours au rendez-vous. Les chercheurs étrangers qui ne connaissent pas les problèmes logistiques auxquels on se butte dans le Grand Nord québécois sauront de quoi je parle à l’avenir, dans mes communications!»

Les voyageurs sont de plus en plus nombreux à vouloir photographier les manchots de l’Antarctique, à se payer une croisière dans l’archipel arctique canadien ou à mettre le cap vers la Laponie. Pourtant, on sait encore peu de choses sur ce type de tourisme. Combien de visiteurs se rendent dans les régions polaires chaque année? Quelles sont les retombées économiques de ces voyages? Que penser des impacts sur l’environnement et les communautés autochtones?

«On commence tout juste à aborder ces questions», dit Alain A. Grenier. À sa connaissance, il existe dans le monde une centaine de chercheurs qui se penchent sur le tourisme polaire. Et jusqu’à l’an dernier, il n’existait aucun regroupement leur permettant d’échanger leurs idées. D’où son initiative de lancer un réseau et d’organiser une première conférence.

Protéger la culture

Parmi les questions qui préoccupent les membres du Réseau international de recherche en tourisme polaire figure la préservation des cultures autochtones. En Laponie – où Alain A. Grenier a passé 12 ans -, le tourisme a été développé essentiellement par les Blancs, qui se sont approprié la culture du peuple autochtone Saami.

Le Sud du Québec n’est pas si différent. «On trouve des totems dans plusieurs boutiques de souvenirs alors que les Autochtones installés ici n’en ont jamais construits, s’étonne Alain A. Grenier. Les totems appartiennent plutôt aux communautés du Pacifique!»

Au Nunavik, les Inuits ont clairement exprimé le désir de développer le tourisme eux-mêmes, à leur échelle. Le premier hôtel de Kangiqsujuaq a été inauguré au mois de juin. Les participants au colloque étaient parmi ses premiers clients. Tout est encore possible.

Le directeur du Réseau ne croit pas pour autant que les Nunavimmiuts (habitants du Nunavik) devraient être laissés à eux-mêmes dans cette aventure. Selon lui, les Inuits, et surtout les Blancs qui habitent le Nord, sont mal formés pour accueillir des visiteurs. Un exemple? «Leur conception du temps est entièrement différente de la nôtre. Le touriste du Sud dépense une fortune pour se rendre au Nunavik. Quand il arrive, il veut profiter au maximum de son séjour. Les gestionnaires locaux, eux, se pointent quand bon leur semble. Ils promettent des activités, mais ne livrent pas nécessairement la marchandise.»

Quand Alain A. Grenier ou des touristes s’en plaignent, on leur répond qu’ils ne comprennent rien à la culture du Nord. «Ça me fait rire! J’ai quand même passé la moitié de ma vie dans le Nord. Oui, les touristes doivent faire un pas. Mais les gens du Nord doivent aussi faire des efforts pour comprendre la culture touristique. Sinon, ils risquent de manquer leur coup.»

Et l’environnement

L’impact du tourisme sur l’environnement est un autre sujet d’intérêt. Pour l’instant, la région du Nunavik est encore peu visitée. Les voyagistes assurent que l’impact de leurs activités sur les écosystèmes est négligeable. Peut-être, mais il faut prévoir à long terme, croit Alain A. Grenier. «Même si ses sentiers sont difficilement praticables, le parc des Pingaluit pourrait bientôt attirer des troupes d’aventuriers.»

Le professeur donne l’Antarctique en exemple. Il y a quelques dizaine d’années, on pensait que le territoire resterait toujours vierge. Aujourd’hui, il attire 40 000 visiteurs chaque année. Une pression énorme sur l’écosystème. «Je peux très bien envisager le jour où l’on va aménager une immense passerelle de bois pour faciliter la marche dans le parc des Pingaluit. Du jour au lendemain, il deviendra plus aisément accessible. Il faut penser dès maintenant aux conséquences du tourisme de masse.»

Même s’il y a passé la moitié de sa vie, Alain A. Grenier admet avoir une vision un peu romantique du Nord, comme tous les habitants du «Sud». «Quand j’arrive là-bas, je veux tout protéger. Mais bien sûr, les Inuits ont le droit de vivre et de se développer grâce au tourisme. Ce qu’on veut, c’est leur donner les meilleurs outils pour y parvenir et pour éviter les erreurs commises ailleurs.»