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Monnayer la pollution

Par Dominique Forget

29 septembre 2008 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Le 30 mai dernier, Québec et Ottawa lançaient en grande pompe le marché climatique de Montréal. La nouvelle s’est immédiatement retrouvée à la une de tous les médias. Dorénavant, les entreprises canadiennes pourraient acheter ou vendre des tonnes de dioxyde de carbone (CO2), comme en Europe.

Depuis l’annonce…? Rien, ou presque. Il y a bien eu quelques transactions, mais elles étaient avant tout symboliques, note Daniel Clapin-Pépin, professeur à l’École des sciences de la gestion et expert en éco-comptabilité, une discipline en pleine émergence. «Cette annonce était surtout un coup de marketing de la part de la bourse de Montréal.»

Contrairement au système qui prévaut en Europe, la participation des entreprises canadiennes à la bourse du carbone est strictement volontaire. Pourquoi une compagnie voudrait-elle payer pour la pollution qu’elle émet si elle n’y est pas contrainte?

Daniel Clapin-Pépin croit toutefois que ce flottement ne saurait durer. John McCain et Barack Obama ont tous deux dans leurs cartons l’implantation d’une bourse du carbone obligatoire aux États-Unis. Le Canada n’aura d’autre choix que de suivre. «À mon avis, ce n’est pas une question d’années, mais de mois», entrevoit le professeur.

B.a.-ba de la bourse

Comprendre les rouages de la bourse du carbone demande un petit effort aux non-initiés. Pour plonger dans cet univers, Daniel Clapin-Pépin donne en exemple la bourse européenne, lancée en janvier 2005.

Quelque 12 000 sites industriels représentant environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre des 27 pays d’Europe sont contraints de participer à ce marché. En 2005, chaque installation a reçu des permis d’émission représentant un certain de nombre de tonnes de CO2, correspondant aux gaz à effet de serre qu’elle émettait dans l’atmosphère à ce moment.

En somme, une entreprise qui réduit suffisamment ses émissions polluantes peut vendre ses permis excédentaires à celles dont les émissions sont à la hausse. Évidemment, il ne suffit pas de transférer les émissions polluantes d’une entreprise à l’autre pour arriver à des réductions globales. Périodiquement, un certains nombre de permis en circulation sont rachetés et retirés définitivement du marché.

Spéculations et tribulations

La bourse du carbone, comme tous les marchés de produits dérivés, ouvre la porte à la spéculation. Un acheteur peut très bien se procurer quelques tonnes dans le seul but de les revendre s’il pense que leur prix va monter (si on réduit le nombre de permis en circulation, mais que les entreprises n’arrivent pas à couper leurs émissions, certaines sociétés seront prêtes à payer le gros prix pour se procurer ces «droits de polluer»).

«C’est un peu le genre de transactions qui s’opèrent sur le marché de Montréal en ce moment», explique le professeur. On achète des tonnes dans l’espoir de les revendre une fois que le marché obligatoire sera en place.»

Daniel Clapin-Pépin croit que la bourse du carbone canadienne pourra apprendre des ratés de la bourse européenne. «Au départ, les Européens avaient sous-estimé la capacité des entreprises de réduire leurs émissions grâce à des technologies qu’elles avaient déjà dans leur manche», dit-il.

En effet, en mai 2006, on a révélé que le nombre de permis en circulation sur le marché européen excédait de 66 millions le nombre de tonnes réellement émises par l’ensemble des 12 000 installations européennes. Le prix de la tonne s’est aussitôt effondré sous la barre d’un euro.

Montréal boudée?

Étonnamment, Daniel Clapin- Pépin n’est pas convaincu que Montréal récoltera la bourse du carbone canadienne lorsqu’elle deviendra obligatoire. «Montréal a voulu se positionner et commencer à roder la machine avant même le lancement officiel du marché. Mais rien n’obligera le gouvernement fédéral à marcher dans son jeu. Calgary, Vancouver et Toronto sont aussi dans la course.»

Chose certaine, les éco-comptables que forme le professeur auront du pain sur la planche dans les années à venir. Non seulement les entreprises qui les embauchent devront-elles devenir expertes du marché climatique, elles pourraient avoir à se familiariser avec une taxe sur le carbone.

Comme la bourse, la taxe sur le carbone est un des mécanismes privilégiés par les gouvernements pour inciter les entreprises à réduire leurs émissions. Stéphane Dion en a fait le cheval de bataille de sa campagne électorale. «Dans le cas d’une taxe, les entreprises paient directement au gouvernement une redevance pour chaque tonne de carbone qu’elles émettent dans l’atmosphère. On voit souvent la bourse et la taxe comme deux systèmes concurrents, mais ils pourraient très bien être utilisés de façon complémentaire.» Reste à convaincre les électeurs…