La gare Windsor de Montréal, construite en 1889, est à vendre depuis 2007… Le restaurant Ben’s Delicatessen, l’un des rares édifices de style Steamline de la Métropole, est sur le point d’être détruit. Faut- il abandonner ces bâtiments patrimoniaux aux démolisseurs ou les protéger? Lucie K. Morisset, professeure au Département d’études urbaines et touristiques, croit que le patrimoine bâti, un des fondements de la construction des identités collectives, doit être valorisé.
Elle et son collègue Luc Noppen, directeur de l’Institut du patrimoine et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain, ont obtenu une subvention de 6 millions $ sur sept ans pour établir le Forum canadien de recherche publique sur le patrimoine. Créé en 2006 à l’UQAM, le Forum vise à devenir un réseau national et international de recherche et peut déjà compter sur l’appui de nombreux partenaires tels Héritage Canada, la Société pour l’étude de l’architecture au Canada, la Newfoundland andLabrador Heritage et Inuit Heritage.
«Le Forum permettra de rassembler les forces actuellement dispersées dans le domaine du patrimoine au Canada, ainsi que des chercheurs de renommée internationale, dont certains siègent à son comité aviseur, explique Lucie K. Morisset. L’Institut du patrimoine de l’UQAM sera la tête de pont du Forum, qui mettra également en réseau les différentes Chaires du Canada en patrimoine pour en faire des pôles de la recherche.»
Trois grands chantiers
Selon la chercheuse, le Canada constitue un terrain privilégié pour explorer le patrimoine. Il est un lieu de rencontre entre les héritages intellectuels anglo-saxon et français et le pays du G8 dont l’accroissement migratoire est le plus élevé. «Dans ce choc des cultures se définissent de nouveaux patrimoines et de nouvelles façons de les construire. Les Autochtones, par exemple, pour qui le patrimoine s’exprime davantage dans le savoir-faire que dans l’objet, n’ont pas comme nous le culte chrétien de la trace. Culte qui se manifeste notamment dans la conservation des lieux et des monuments historiques. Parmi toutes les représentations collectives de ce que nous sommes, le patrimoine est la plus importante, à un point tel que nous sommes prêts à le léguer à la postérité», soutient Mme Morisset.
Les travaux des chercheurs se déploieront autour de trois grands chantiers : l’avenir du patrimoine religieux, l’avenir du patrimoine moderne et la formation de la mémoire patrimoniale. «Personnellement, je cherche à comprendre comment, au fil du temps, se construit le patrimoine dans une société donnée et comment se forme l’idée même de patrimoine», dit Mme Morisset.
Renverser la pyramide de décision
Le patrimoine moderne – tel quartier, telle maison au bout de la rue – est un cadre de vie, un environnement affectif, que les citoyens doivent s’approprier, souligne la professeure. C’est pourquoi le Forum veut contribuer à améliorer la communication entre les décideurs et les utilisateurs. «Rares sont les Québécois capables de nommer un édifice montréalais qui a été classé monument historique», observe Mme Morisset. Qui sait, par exemple, que sur l’édifice abritant le pavillon Saint-Denis de l’UQAM, à l’angle des rues Sainte-Catherine et Saint-Denis, se trouve une plaque commémorative indiquant que c’était autrefois la maison natale d’Honoré Mercier, ancien premier ministre du Québec? «Il faut renverser la pyramide de décision pour éviter qu’une poignée d’experts décide seule de ce qui relève ou non du patrimoine», conclut Lucie K. Morisset
Le Forum ne part pas de zéro. Il a lancé une revue scientifique multidisciplinaire, Patrimonium, qui publiera des articles de chercheurs et de professionnels du milieu, créé les Cahiers de l’Institut du patrimoine et la collection «Patrimoine urbain» aux Presses de l’Université du Québec, ainsi que le prix Phyllis Lambert décerné par l’Institut et la Fondation de l’UQAM au meilleur mémoire ou à la meilleure thèse portant sur l’architecture au Canada. Ajoutons enfin que le Forum a pour projet de publier une cinquantaine d’ouvrages au cours des sept prochaines années.