Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Moment de répit en période d’écriture pour Bryan Perro, qui concocte une nouvelle série de romans dont le premier tome paraîtra en octobre. L’auteur d’Amos Daragon nous reçoit chez lui, un vaste domaine en pleine forêt, à Saint-Mathieu-du-Parc, près de Shawinigan. La poignée de main est solide comme le gaillard, qui mesure près de deux mètres. Sa conjointe, Anne Gilbert, «première lectrice impitoyable» nous dira-t-il, doit calmer Jane et Portos, leurs grands caniches impatients de nous souhaiter la bienvenue à leur tour.
Bryan Perro (B.A. art dramatique, 92) a déjà annoncé ses couleurs pour cette prochaine série, Wariwulf, qui portera sur les loups-garous. L’écrivain natif de la Mauricie est fasciné depuis longtemps par cette bête légendaire. «En chacun de nous se cache un monstre refoulé par l’impératif de vivre en société, explique-t-il. Le loup-garou est l’incarnation de cette double nature humaine.»
Diplômé de l’UQAM, Perro a presque complété une maîtrise à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il y a quelques années, il mettait la touche finale à son mémoire, intitulé Le loup-garou dans la tradition orale au Québec, quand Amos Daragon a fait irruption dans sa vie. Plutôt qu’un diplôme de deuxième cycle, il a obtenu un immense succès populaire : les 12 tomes de sa série se sont écoulés à plus d’un million d’exemplaires au Canada (en français uniquement) et ont été traduits en 18 langues, notamment en russe, en bulgare, en roumain, en croate, en allemand, en portugais et en japonais.
Du théâtre au roman
«C’est grâce à la lecture des tragédiens grecs dans un cours de dramaturgie que s’est développé mon intérêt pour le monde fascinant de la mythologie, se rappelle l’auteur. Tous les autres étudiants avaient détesté cette partie du cours, tandis que j’avais dévoré les œuvres d’Eschyle, Euripide et Sophocle.»
L’intérêt de Perro pour la mythologie, les contes et les légendes se reflète dès sa sortie de l’UQAM dans les pièces qu’il écrit, met en scène et interprète au sein d’une compagnie de théâtre régionale, fondée avec des amis peu après son embauche au cégep de Shawinigan, où il enseigne le théâtre et la littérature. «Mon intérêt pour le jeu et la mise en scène s’est ensuite estompé, raconte-t-il, mais pas celui pour l’écriture. Je me suis tourné vers le roman parce que j’avais le goût d’une création qui se suffit à elle-même.»
Son premier roman, Marmotte, est publié en 1998 aux éditions des Glanures, une petite maison de Shawinigan. Les critiques sont plutôt bonnes, mais le public n’est pas au rendez-vous et la maison d’édition déclare faillite peu après. Michel Brûlé, éditeur des Intouchables, se montre intéressé au travail de Bryan Perro et publie ses deux romans suivants, Mon frère de la planète des fruits (2001) et Pourquoi j’ai tué mon père (2002). Ce troisième roman est autobiographique. Il raconte la relation entre Perro et son père, un entraîneur sportif qui l’a poussé à courir le Marathon de Montréal à 12 ans. «Au total, mes trois premiers romans n’ont pas dépassé les 1 000 exemplaires vendus, confie l’écrivain. J’étais vraiment déçu.»
Le meilleur marqueur
Quand Michel Brûlé lui demande d’écrire, en un an (!), les trois premiers tomes d’une série fantastico-mythologico-médiévale s’adressant aux jeunes de 9 à 14 ans, Perro refuse. Il ne peut pas conjuguer une telle somme de travail avec son emploi d’enseignant. Son éditeur lui offre alors une avance sur ses futurs droits d’auteur. «Je lui ai dit Écoute, Michel, tu sais très bien que ma spécialité, ce sont les livres qui ne se vendent pas», raconte-t-il en riant. Brûlé insiste et lui sert sa métaphore sportive : «Je crois que tu peux être mon meilleur marqueur si je te donne de la glace.» Un an plus tard, la série compte trois titres.
Les aventures d’Amos Daragon, ce garçon qui reçoit la mission de rétablir l’équilibre du monde dans une grande guerre des dieux, font fureur auprès des jeunes. Six mois après le lancement de la série, en mars 2003, Michel Brûlé appelle Perro pour lui annoncer qu’une réimpression s’impose. «Je lui ai demandé si c’était parce que l’entrepôt avait brûlé», se rappelle l’auteur. Ce n’était pas le cas. Les 40 000 exemplaires tirés des trois premiers tomes avaient trouvé preneurs.
Perro fait connaissance avec son nouveau public en novembre de cette année-là, au Salon du livre de Montréal. «Dans les salons, je passais généralement inaperçu, raconte-t-il. Quand j’ai réalisé qu’une longue file d’enfants et de parents attendaient pour me voir, j’en ai eu les larmes aux yeux. Mais j’ai dû ravaler, parce qu’un gars de six pieds trois pouces, ça ne braille pas! Ce fut l’un des plus beaux moments de ma vie.»
Le lectorat d’Amos Daragon se compose de sept garçons pour trois filles. La mythologie et l’esprit aventurier du héros créé par Perro fascinent les garçons, habituellement réfractaires à la lecture à cet âge-là. «Je suis très fier d’avoir déclenché chez eux le goût de lire», avoue l’auteur, qui a visité plus de 200 écoles par année dans la foulée de son succès, se rendant jusqu’à Jasper, Charlottetown et Yellowknife pour parler aux jeunes de littérature. À une époque, il était tellement en demande que des conférences avaient lieu dans des salles de spectacles pour permettre aux élèves de plusieurs écoles d’y assister.
Depuis la parution du dernier tome d’Amos Daragon, en octobre 2006, Bryan Perro a créé Eclyps, un spectacle multidisciplinaire présenté l’été dernier à la Cité de l’énergie de Shawinigan. Il s’est à nouveau inspiré de la mythologie pour écrire l’histoire d’un garçon qui est le dernier à croire qu’il existe des êtres vivant sur la Lune, les Sélénites. Ceux-ci viennent sur la Terre afin de convaincre l’enfant de continuer à croire en eux, sans quoi ils disparaîtront. «Les choses existent parce que nous y croyons, c’est l’un des grands principes mythologiques», explique l’auteur, content de la popularité de ce spectacle qui devrait être à l’affiche pour quelques années.
Grand voyageur, Bryan Perro adore acheter des livres sur les contes, les légendes et les créatures folkloriques des pays qu’il visite. Sa bibliothèque en compte plus de 400. «Il n’existe pas d’ouvrages de ce genre sur nos propres figures mythologiques, souligne-t-il. J’ai voulu préserver cette partie importante de notre patrimoine.» Publié l’automne dernier aux Éditions Trécarré et magnifiquement illustré par Alexandre Girard, Créatures fantastiques du Québec recense une vingtaine de légendes. Le livre raconte l’histoire du nain jaune des îles de la Madeleine, qui n’apparaît qu’aux jeunes filles en âge de se marier, car il cherche en vain depuis des siècles la femme qui acceptera de l’épouser. On y trouve aussi celle du sasquatch, notre yéti nord-américain, et, bien sûr, celle du monstre du lac Memphrémagog. Un site Web a été créé, le www.creaturesfantastiques.com