«Il est toujours préférable de réfléchir avant d’agir. C’est ma réponse à ceux qui mettent en doute la nécessité de créer des commissions d’enquête ou d’étude parce qu’elles seraient trop coûteuses et inutiles.»
Membre du Barreau du Québec et professeur au Département des sciences juridiques, Pierre Bosset a siégé au comité conseil de la Commission Bouchard-Taylor et a occupé, de 1985 à 2007, la fonction de directeur de recherche à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec. Il participera le 17 mars prochain à une conférence organisée par le Conseil des diplômés de la Faculté de science politique et de droit, ayant pour thème «Le rôle d’un avocat dans une commission». L’événement se tiendra au pavillon Sherbrooke (SH-2800), de 18h à 19h 30, et réunira deux autres juristes conférenciers, les diplômés André Lespérance (LL.B., 1982) et Vincent Regnault (LL.B., 1998) qui ont participé aux travaux des commissions Gomery et Johnson.
«Le rôle des avocats varie selon les types de commissions, explique M. Bosset. Certaines, comme la commission d’enquête sur le crime organisé dans les années 70 et la Commission Gomery, font davantage appel aux services de juristes parce que les conclusions de leurs travaux peuvent porter atteinte à la réputation d’individus ou même à leurs droits. Dans les commissions d’étude ou de consultation, telle la Commission Bouchard-Taylor, les juristes sont là pour participer à une réflexion collective.»
Contribuer aux débats sociaux
Pierre Bosset était l’un des trois juristes du comité conseil de la Commission Bouchard-Taylor qui comptait au total 15 experts provenant de divers horizons disciplinaires : philosophie, histoire, science politique, sociologie, etc. «Le rôle du comité était de commenter des documents de travail, de valider des analyses et de fournir des avis aux commissaires, précise le professeur. Il n’y avait pas d’opposition entre juristes et non-juristes et jamais je n’ai senti que j’étais le technicien juridique de service.»
Beaucoup de gens, certains avocats y compris, ont une vision réductrice du droit et perçoivent les juristes comme des techniciens qui ne s’intéressent qu’aux règles de procédure, poursuit Pierre Bosset. «Les juristes, au même titre que les sociologues, les philosophes ou les politologues, peuvent et doivent contribuer aux débats sur les grandes questions sociales, politiques et culturelles. Mes interventions au sein du comité ne se fondaient pas seulement sur le droit de l’accommodement raisonnable, mais aussi sur tout ce qui concerne les rapports entre l’État et les diverses religions.»
Le droit est aussi l’expression d’une culture et porteur de valeurs, soutient le chercheur. «Compte tenu de mon parcours, je suis très attaché aux valeurs incluses dans les chartes des droits. L’égalité, la dignité humaine et la liberté sont des valeurs englobantes que les juristes doivent défendre, tout comme la solidarité sociale, trop souvent oubliée. Celle-ci est d’ailleurs présente dans la Charte québécoise, seul texte du genre en Amérique du Nord qui reconnaît les droits économiques et sociaux comme des droits de la personne.»
Une opération risquée
Avec 901 mémoires reçus, la Commission Bouchard-Taylor a été l’une des consultations publiques les plus suivies de l’histoire récente du Québec, devançant même les travaux de la Commission Bélanger- Campeau tenue en 1990 (607 mémoires) et se classant deuxième derrière la Commission nationale sur l’avenir du Québec de 1995 (plus de 5 500 mémoires). Sans compter les milliers de personnes qui ont assisté aux 22 forums régionaux de citoyens.
«Comme juriste, j’étais parfois frustré de constater l’incompréhension des gens à l’égard du droit en matière d’accommodement raisonnable», confie M. Bosset. Cette notion, conçue à l’origine pour combattre des formes de discrimination, a fini par recouvrir toutes les formes d’arrangement consentis par des gestionnaires d’institutions publiques ou privées à des élèves, des patients, des employés, etc.
Les commissaires auraient pu s’en tenir à la dimension proprement juridique de l’accommodement raisonnable, mais ils ont choisi d’élargir le mandat de la commission en voyant dans le débat sur les accommodements le symptôme de problèmes plus fondamentaux concernant l’immigration, la laïcité et l’identité québécoise.
Avec le recul, Pierre Bosset pense que le Québec a eu raison de se donner un tel outil de réflexion, même si l’opération était risquée et a donné lieu à des débordements. «Les Arabomusulmans, par exemple, ont été souvent pointés du doigt, dit-il. On prendra la mesure de tout ça dans dix ou vingt ans. D’ici là, beaucoup de travail reste à accomplir pour faire progresser la compréhension mutuelle des différences culturelles et religieuses entre les diverses communautés.»