Ceux qui mettront les pieds au Coeur des sciences les 9 et 10 avril prochain n’ont qu’à bien se tenir. Leurs allées et venues seront scrutées à la loupe par un arsenal d’équipements de surveillance, à la fine pointe de la technologie. Prise d’empreintes digitales, reconnaissance faciale, lecture de l’iris et de la rétine, reconnaissance de la voix; rien ne leur sera épargné. Soyez sans crainte, personne ne sera fiché et les données ne seront pas croisées avec celles d’un quelconque service de renseignement. Cet environnement digne du dernier James Bond sera recréé dans une ambiance strictement ludique et conviviale. L’événement Citoyens sous surveillance. Du défi scientifique à l’enjeu éthique veut amener les participants – étudiants, professeurs et grand public – à s’interroger sur les technologies de surveillance et leur impact sur leur vie privée.
«Les gens connaissent peu de choses sur les systèmes employés par les gouvernements ou les compagnies privées pour recueillir de l’information à leur sujet», souligne Benoît Gagnon, un étudiant au doctorat à l’École de criminologie de l’Université de Montréal qui collabore régulièrement à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. «Même quand ils sont au courant, ils se sentent peu concernés, jugeant qu’ils ne peuvent rien aux mécanismes de sécurité déployés. Pourtant, il s’agit de leurs données personnelles.» Le chercheur ne se prononce pas en faveur ou contre la surveillance. Avant tout, il veut lancer le débat.
Inspecteur gadgets
Il semble que ce ne soit qu’une question de temps : on veut intégrer des puces RFID (radio frequency identification) aux passeports et aux permis de conduire. À peine plus grandes et plus épaisses qu’un timbre-poste, ces puces permettraient aux douaniers et aux policiers de récupérer les informations qui y sont stockées et d’en inscrire de nouvelles. Tout cela à distance, en communiquant avec la puce par radio. Ce gadget soulève nombre de craintes, en lien notamment avec le vol d’identité. Imaginez qu’un petit malin arrive à pirater le système pour lire à distance votre date de naissance, votre nationalité, votre adresse et toute autre information stockée sur la puce. «Les données informatisées ne sont jamais sécurisées à 100 %», signale Benoît Gagnon. Pas besoin d’un crack de l’informatique pour les mettre en péril. L’automne dernier, les autorités fiscales britanniques ont perdu des CD-Rom sur lesquels étaient inscrites les données de 25 millions d’habitants, la moitié de la population du pays!
Le recours aux nouvelles technologies par l’entreprise privée n’est guère plus rassurant. Wal-Mart songe à intégrer des puces RFID aux vêtements qu’elle met en marché. Étant donné qu’elles seraient cachées dans les coutures du vêtement, votre présence serait détectée par les lecteurs de l’entreprise chaque fois que vous entreriez dans un magasin habillé d’un vêtement de la maison. Une fiche à votre sujet apparaîtrait aussitôt à l’écran. Elle recenserait vos derniers achats, question d’aider les vendeurs à cibler vos goûts et à vous proposer des articles qui répondent à vos attentes.
C’est sans parler de la biométrie (qu’on veut implanter dans les aéroports) et qui vise à récolter et à vérifier des informations intimement liées au corps humain comme les motifs qui tapissent l’iris ou la géométrie de la main et des doigts, déjà en usage à l’entrée du Centre sportif de l’Université de Montréal. L’utilisation d’ADN à des fins d’identification, bien qu’elle ne soit pas au point, ne devrait pas tarder. Qui aura accès à toutes ces données? Combien de temps serontelles conservées en banque pour garder la trace de votre passage quelque part? La multiplication des données est-elle vraiment utile pour promouvoir la sécurité et lutter contre le terrorisme?
Improvisation et débat
Les deux journées au Coeur des sciences seront ponctuées de courtes présentations d’une vingtaine de minutes qui amèneront les participants à réfléchir à ces questions. Le jeudi soir, l’anthropologue Serge Bouchard prononcera une conférence de plus grande envergure sur le thème La peur dans l’histoire.
Les organisateurs ont prévu une foule d’autres activités originales, voire inusitées. Le mercredi 9 avril, à 18h, la Ligue d’improvisation de l’UQAM se livrera à un match entièrement inspiré des questions de sécurité et de surveillance. La joute sera suivie d’un bar des sciences où le public sera invité à débattre avec Benoît Gagnon et deux autres experts du domaine : Benoît Dupont, professeur de criminologie à l’Université de Montréal, et Raymond D’Aoust, commissaire adjoint à la protection de la vie privée du Canada. Le thème : saurons-nous surveiller ceux qui surveillent?
Également au programme, le lancement d’un avis préparé par la Commission de l’éthique de la science et de la technologie (CEST), intitulé Viser un juste équilibre : un regard éthique sur les nouvelles technologies de surveillance et de contrôle à des fins de sécurité. Pendant près d’un an et demi, un groupe d’experts s’est réuni grâce à l’initiative de la Commission pour réfléchir à l’impact que peuvent avoir les technologies de surveillance sur l’autonomie des citoyens. «Une des recommandations du comité est de favoriser la tenue de forums d’information et de consultation publique», dévoile Édith Deleury, présidente de la CEST. «L’événement public à l’UQAM est un premier pas.» L’événement est ouvert à tous et l’entrée est libre.