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La laïcité, instrument politique de gestion de la diversité

Par Claude Gauvreau

17 mars 2008 à 0 h 03

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Y a-t-il différents modèles de laïcité? La laïcité confine-t-elle la religion à la sphère privée? Un petit ouvrage de 125 pages paru récemment aux éditions Novalis, La Laïcité, répond à ces questions complexes, et à bien d’autres, avec clarté, rigueur et simplicité. Son auteure, Micheline Milot, professeure au Département de sociologie, est une spécialiste des questions religieuses et a siégé au Comité conseil de la Commission Bouchard-Taylor.

Se questionner sur la laïcité, dit-elle, nous conduit à aborder l’un des grands défis auxquels font face toutes les société pluralistes, à la fois d’un point de vue politique, juridique et social. Construire une façon de vivre ensemble pacifiquement, à un moment où la diversité des conceptions de la vie, morales, religieuses et philosophiques, n’a jamais été aussi grande, représente en effet une tâche immense, reconnaît la sociologue.

Selon Micheline Milot, la laïcité repose sur quatre principes fondamentaux, soit la neutralité de l’État à l’égard de toute confession religieuse, la séparation des pouvoirs entre le politique et le religieux, la liberté de conscience et de religion et l’égalité de traitement des citoyens en cette matière. «L’État laïque ne peut se contenter d’affirmer l’importance des libertés religieuses sans veiller à ce que des modalités politiques et institutionnelles permettent aux citoyens de vivre concrètement ces libertés», précise-t-elle.

Ne pas confondre sécularisation et laïcisation

La professeure établit une distinction importante entre sécularisation et laïcisation. La sécularisation correspond à une perte progressive de l’influence sociale et culturelle de la religion dans la société, alors que la laïcisation concerne l’aménagement des rapports entre l’État et les diverses confessions religieuses. «Au Québec, la Révolution tranquille a permis une accélération du processus de sécularisation, lequel était déjà à l’oeuvre dans les décennies précédentes, souligne Mme Milot. On a surestimé le poids de l’Église catholique alors qu’elle n’a jamais été liée organiquement au pouvoir, sauf dans le domaine de l’éducation.»

Cela dit, bien que la sécularisation de la société québécoise soit très avancée, rien n’empêche la résurgence de références identitaires religieuses. «On le constate actuellement, alors qu’un petit noyau de catholiques continue de résister à la déconfessionnalisation des écoles québécoises», souligne Mme Milot.

Il n’y a pas de modèle idéal

Plusieurs conceptions de la laïcité peuvent cohabiter dans une même société. Il n’y a pas de modèle idéal, bien que la laïcité de «reconnaissance» soit appelée à prendre de plus en plus d’importance au Québec, comme dans la plupart des autres sociétés pluralistes, souligne Micheline Milot. «Dans ce type de modèle, l’État devient un arbitre des conflits et reconnaît l’autonomie de pensée de chaque citoyen. Ainsi, l’État ne saurait affirmer que le voile musulman signifie de facto la soumission de celles qui le portent. Je connais des femmes qui portent le voile par conviction personnelle, sans lui donner une valeur politique et sans souscrire à l’ensemble des préceptes de l’Islam. Elles se battent même pour l’égalité des femmes, de la même façon que des croyants catholiques défendent la laïcité.»

La sociologue tient à rappeler que la Charte des droits et libertés de la personne interdit toute discrimination sexuelle et que le droit international donne préséance à l’équilibre et non à la hiérarchie des droits. C’est pourquoi elle est en désaccord avec le Conseil du statut de la femme qui, en 2007, recommandait de modifier la Charte pour que l’égalité des hommes et des femmes prime la liberté de religion dans la société québécoise.

Le débat sur les accommodements raisonnables a révélé par ailleurs l’existence de conceptions autoritaire et antireligieuse de la laïcité, observe la chercheuse. «La laïcité est un instrument politique impartial de gestion de la diversité. Elle s’impose aux institutions publiques, aux lois et à l’État, mais ne signifie pas l’interdiction de l’expression religieuse individuelle dans la société civile. Comment un petit nombre de personnes au sein d’une minorité religieuse, qui affichent de manière plus visible leur croyance, pourrait menacer l’identité de six millions d’individus et les obliger à vivre selon des normes religieuses?», demande Micheline Milot.

«C’est comme si nous vivions dans une démocratie pluraliste tout en rêvant paradoxalement à une certaine homogénéité!»