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Inégales devant la mammographie

Par Dominique Forget

14 avril 2008 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Une Canadienne sur neuf développera un cancer du sein au cours de sa vie. De celles-ci, un peu plus du quart en mourront. Des chiffres qui donnent froid dans le dos!

Pourtant, moins de 60 % des Québécoises se soumettent à la mammographie proposée par le Programme québécois de dépistage du cancer du sein (PQDCS) qui cible les femmes de 50 à 69 ans à qui on recommande un examen aux deux ans. Un constat étonnant lorsqu’on sait que cet examen constitue la meilleure façon de réduire les risques de mortalité. L’auto-examen des seins n’est même plus recommandé par les autorités médicales tant sa fiabilité est contestée.

Si certaines femmes choisissent librement de ne pas passer la mammographie, d’autres n’arrivent tout simplement pas à se conformer aux consignes du PQDCS. C’est le cas des femmes aux prises avec une incapacité physique ou intellectuelle. Des études ont montré qu’elles étaient significativement moins nombreuses à recourir à la mammographie que la moyenne. Qui plus est, celles qui subissent l’examen et qui obtiennent un diagnostic de cancer du sein meurent en général plus rapidement, souvent parce que le dépistage n’a pas eu lieu à temps.

Professeure associée au Département de communication sociale et publique, conseillère au transfert de connaissances auprès de trois centres de réadaptation en déficience intellectuelle, Renée Proulx a obtenu en 2006 une subvention de 250 000 $ des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) afin de fouiller la question. Le projet, qui touche à sa fin, est réalisé en collaboration avec Sylvie Jutras, professeure au Département de psychologie de l’UQAM, de même que Céline Mercier, du Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal, et Diane Major, de l’Institut national de la santé publique du Québec.

Sur le terrain

Le premier volet de l’étude a été réalisé à l’aide d’entrevues individuelles. Au total, 124 personnes ont été rencontrées : des femmes ayant une incapacité d’ordre moteur, sensoriel, psychologique ou intellectuel, des femmes sans incapacité (comme point de référence), des employés des centres de dépistage, ou encore des intervenants du milieu de la réadaptation. L’accès physique aux centres de dépistage a souvent été évoqué parmi les obstacles auxquels se butent les femmes avec un handicap physique. Même lorsqu’elles se rendent sur les lieux, il arrive que des femmes en fauteuil roulant ne puissent pas se soumettre à l’examen, parce certains mammographes ne peuvent pas s’accommoder de la position assise.

Pour les femmes présentant une déficience intellectuelle, la documentation envoyée à la maison pour les inciter à passer l’examen pose souvent problème. «Ce serait probablement une bonne idée d’illustrer les étapes du programme avec des dessins, souligne Renée Proulx. La documentation est conçue en visant la femme moyenne, mais on oublie tout un pan de la population.»

Parmi les nombreuses autres suggestions : recommander aux réceptionnistes des centres de radiographie de demander aux femmes si elles ont des besoins particuliers lorsqu’elles appellent pour prendre rendez-vous, ou encore voir à ce que les médecins s’assurent que leurs patientes comprennent l’importance de subir une mammographie.

Changer les pratiques

Dans le deuxième volet de leur étude, l’équipe de chercheuses a soumis 64 propositions recueillies au cours des entrevues à des experts du PQDCS (formateurs, gestionnaires, planificateurs) et à des experts de la réadaptation, pour déterminer quelles pistes sont les plus pertinentes et réalistes. L’équipe n’a pas terminé l’analyse des résultats et pourtant, les pratiques et les mentalités commencent déjà à changer sur le terrain. La participation des différents acteurs du milieu de la santé à l’enquête ou au comité consultatif du projet a sensibilisé les professionnels aux besoins particuliers des femmes handicapées en ce qui concerne la mammographie.

L’équipe de recherche reçoit maintenant des appels de responsables de programmes de dépistage du cancer ailleurs au Canada, qui souhaitent connaître les pistes de solution qui émergeront de l’étude. «On ne vise pas à ce que toutes les femmes avec une incapacité se soumettent religieusement à la mammographie, même si nous sommes convaincues que c’est la meilleure chose à faire, précise Sylvie Jutras. Ce qu’on veut, c’est qu’elles aient la même chance que vous et moi de pouvoir choisir si elles veulent la passer.»

Renée Proulx renchérit. Elle espère que l’étude fera des petits. «On souhaite sensibiliser les acteurs de la santé publique, pour que leurs programmes tiennent mieux compte des besoins des personnes avec une incapacité. Les conclusions de notre projet pourront être reprises ailleurs.»