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Enfants maltraités : de la tolérance à l’indignation

Par Claude Gauvreau

7 janvier 2008 à 0 h 01

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Dans notre société, la violence à l’égard des enfants suscite un sentiment général d’indignation. Toutefois, beaucoup de gens ignorent que l’article 43 du Code criminel canadien permet, encore aujourd’hui, l’emploi de la force pour corriger un enfant. Chargée de cours au Département d’histoire, Marie-Aimée Cliche prône l’abrogation de cet article et considère que les enfants ont droit, autant que les adultes, au respect de leur intégrité corporelle.

Mme Cliche est l’auteure de Maltraiter ou punir? La violence envers les enfants dans les familles québécoises, 1850-1969 (Boréal), qui lui a valu l’un des Prix du livre savant 2006-2007 décernés par la Fédération canadienne des sciences humaines, soit le Prix Jean-Charles-Falardeau du meilleur ouvrage de langue française en sciences sociales.

«Ce livre est le fruit de quatre ans de recherche et d’une année de rédaction, sans compter trois autres années pour en valider le contenu scientifique», raconte Mme Cliche. Basé sur des sources documentaires variées (revues familiales, livres sur l’éducation, courriers du coeur, faits divers, archives judiciaires), il permet de comprendre comment les Québécois ont pris conscience graduellement de l’existence du phénomène des enfants maltraités et en sont venus à le tolérer de moins en moins.

De la pédagogie noire…

Pendant des millénaires, le fait de battre les enfants sous prétexte de les éduquer a été considéré comme normal. C’est seulement vers le milieu du XIXe siècle que s’amorce au Québec, et dans d’autres pays, un changement de sensibilité à l’endroit des différentes formes de violence subies par les enfants. Jusque-là, c’est la pédagogie noire qui règne en Europe et en Amérique. Une pédagogie visant à briser la personnalité de l’enfant. «Au Québec, le discours général sur l’éducation insistait sur l’importance de former de bons chrétiens et d’apprendre à obéir. En cas de première désobéissance, on recommandait de fouetter l’enfant», rappelle Mme Cliche.

En 1851, l’abbé Alexis Mailloux publie Le manuel des parents chrétiens, premier livre au Québec sur l’éducation des enfants destiné aux parents. Ce prêtre estime qu’«il ne faut frapper les enfants que rarement» et recommande plutôt de les raisonner. Par la suite, les faits divers et les courriers du coeur dans les journaux à grand tirage permettent de révéler au grand public les cas d’enfants maltraités.

«La violence était toujours attribuée aux autres, aux pauvres et aux immigrants en particulier», souligne la chargée de cours. Il en sera ainsi jusqu’en 1920, année où le Québec découvre avec horreur l’histoire désormais célèbre de la petite Aurore enfant martyre. «Ce drame provoque une prise de conscience parce qu’il éclate dans une famille canadiennefrançaise catholique, prospère et respectable, dit Mme Cliche. Le Bureau du Procureur général, qui supervisait les procès criminels, reçoit alors de plus en plus de lettres dénonçant des cas de maltraitance.»

… à l’éducation nouvelle

Vers 1940, apparaît le courant d’«éducation nouvelle», hérité d’Europe, qui favorise une prise de conscience plus poussée des Québécois. Les psychologues, psychiatres et travailleurs sociaux font entendre leur voix et mettent l’accent sur l’épanouissement de l’enfant et le développement de sa personnalité. «Désormais, il s’agit avant tout de former un bon citoyen respectueux de la loi, plutôt qu’une personne vertueuse», précise Mme Cliche.

Plus tard, la Révolution tranquille, et la libéralisation des moeurs qui l’accompagne, contribue à l’évolution des mentalités. Les médecins auront l’obligation de dénoncer les gestes de violence et les règlements permettant les punitions corporelles dans les écoles seront progressivement abolis.

Selon Marie-Aimée Cliche, la violence à l’endroit des enfants existe toujours, même si elle est moins fréquente qu’auparavant. «En janvier 2004, la Cour suprême du Canada concluait qu’il était inacceptable de frapper les enfants de moins de deux ans et les adolescents de 12 ans et plus. Mais les autres? Il ne faut pas les frapper sur la tête ou avec un objet, déclarait la Cour. Et la force employée doit être de légère à moyenne. Le journal La Presse avait alors réagi en publiant une caricature montrant un père en train de donner la fessée à son enfant qui porte un casque protecteur. Et l’enfant de dire à son père : N’oublie pas qu’il ne faut pas frapper trop fort!»