Au Québec, pas de Freddy Mercury ni de Magic Johnson. Jamais aucune personnalité n’a accepté de dire publiquement qu’elle était séropositive. Au cours de la prochaine année, Maria Nengeh Mensah, professeure à l’École de travail social, profitera d’un congé sabbatique pour rencontrer des personnes qui ont accepté de témoigner de leur expérience de vie avec le VIH au Canada, mais aussi en France et au Mexique. «Mon but est de comprendre les facteurs qui les poussent à faire ce témoignage», précise la chercheuse. La recherche ne se limitera pas aux entrevues sur le terrain. En fait, toute la culture du coming out, que ce soit au cinéma, au théâtre, sur Internet ou dans la littérature, sera analysée lors cette deuxième phase du projet VIHsibilité.
En cours depuis 2005 à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), le projet VIHsibilité bénéficie d’une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines et porte sur la transformation du discours médiatique à l’égard des personnes vivant avec le VIH. «La première phase du projet avait pour objectif de comprendre comment les médias écrits construisent l’image des hommes et des femmes infectés par le VIH et de voir s’il y avait eu une évolution dans le discours», explique la chercheuse. Un corpus incluant tous les articles sur le sujet parus entre 1982, moment où l’on a entendu parler de l’épidémie pour la première fois, et 2004 dans quatre quotidiens francophones (La Presse, Le Devoir, Le Soleil et Le Droit) a été constitué et analysé.
Un sujet médiatisé
«Contrairement à une croyance répandue, nos résultats montrent que les médias n’ont jamais cessé de s’intéresser au VIH et au sida, dit Maria Nengeh Mensah. En fait, ils en parlent davantage depuis l’année 2000 qu’au début de l’épidémie.» Le traitement médiatique varie toutefois en fonction des périodes de l’année (des pointes survenant dans la période précédant le 1er décembre, Journée internationale du sida, et quand des cas spectaculaires font la manchette) et en fonction du genre des personnes infectées. Alors que l’épidémie au Québec frappe davantage les hommes que les femmes, le sida, dans les journaux, apparaît davantage comme une préoccupation féminine.
«Même si cette tendance à parler des femmes peut dénoter une volonté de ne pas stigmatiser les hommes, on craint dans certains groupes gais que cela ne mine les efforts de prévention auprès des jeunes hommes, qui ont d’ailleurs tendance à adopter des comportements très peu sécuritaires en regard du sida», signale la chercheuse. Quand les médias abordent la question du VIH du point de vue des hommes, c’est souvent dans un contexte de délinquance ou de criminalité, alors que les femmes sont davantage associées à l’organisation communautaire et au militantisme.
Sensibiliser les journalistes
Le 22 février dernier, une journée d’étude a permis de réunir une trentaine de personnes issues des milieux de la recherche et communautaires. Le but de la journée était d’ouvrir le débat sur la visibilité médiatique des personnes vivant avec le VIH et d’identifier des pistes de solution aux problèmes soulevés. Parmi les solutions envisagées, il a été proposé de sensibiliser les journalistes à la réalité des personnes séropositives et de mieux accompagner celles qui acceptent de témoigner dans les médias. «Cette rétroaction avec la communauté, que nous avions aussi consultée pour formuler nos questions de recherche, a donné beaucoup de vitalité au projet VIHsibilité», souligne Maria Nengeh Mensah.
La deuxième phase du projet découle des enjeux soulevés lors de la première et permettra d’élargir la perspective afin d’inclure les médias non journalistiques. «Il ne s’agit plus seulement d’analyser le discours, mais de comprendre la culture médiatique entourant le VIH», explique la chercheuse.