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Architecture moléculaire

Par Marie-Claude Bourdon

15 septembre 2008 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

«À l’époque des alchimistes, on voulait transformer le plomb en or, dit Sylvain Canesi, professeur au Département de chimie. En chimie organique, on essaie de transformer le pétrole en molécules anticancéreuses.» Le pétrole est une immense source de carbone. Or, cette molécule qui est à la base du vivant constitue le matériau de construction principal du chimiste et de ses collaborateurs. C’est en liant des molécules de carbone entre elles qu’ils arrivent à construire de nouvelles structures chimiques imitant des molécules naturelles aux propriétés thérapeutiques prometteuses.

«Plutôt que d’extraire la molécule de l’organisme vivant qui la produit, ce qui peut mener à la destruction d’écosystèmes complets, surtout quand il s’agit d’organismes rares, nous tentons de mettre au point de nouvelles réactions chimiques afin de transformer des molécules relativement simples en molécules beaucoup plus complexes», explique Sylvain Canesi.

Son équipe a ainsi réussi à fabriquer de façon synthétique le panacene, une molécule qui se retrouve à l’état naturel dans le lièvre des mers, un gros escargot marin, et qui le protège des requins. On dit que les autochtones de la Floride, où vit ce mollusque, s’en enduisaient le corps pour se protéger lorsqu’ils pêchaient au harpon. «Cette molécule pourrait avoir des propriétés contre le cancer et contre la maladie d’Alzheimer, précise le chercheur. Grâce à notre méthode, nous avons réussi à la synthétiser en cinq étapes, alors que les protocoles connus nécessitent 9 ou 15 étapes.»

Un travail d’artiste

Imiter la nature, qui compte quelques milliards d’années d’avance sur le chercheur, n’est pas une mince affaire. Pour échafauder des structures aussi sophistiquées que celles qui sont produites naturellement, il faut un véritable talent d’architecte! «Certains considèrent que c’est de l’art», affirme le chimiste. Pour effectuer ses transformations, l’architecte moléculaire doit trouver les bons réactifs, prévoir que telle partie de la structure sera modifiée et non pas telle autre, arriver à provoquer des inversions de polarité de façon à obtenir de nouveaux squelettes moléculaires.

«La chimie organique est née il y a seulement 150 ans avec la synthèse de l’urée, dit Sylvain Canesi. C’est une science encore jeune, qui n’a pas livré tous ses secrets.»

En ce moment, les chercheurs de son laboratoire – Cyrille Sabot, Didier Bérard, Léanne Racicot, Chantal Guérard et Marc-Alexandre Duceppe – travaillent entre autres sur le squelette central de la vindoline, une molécule qui se retrouve à l’état naturel dans une jolie plante, la pervenche de Madagascar. La vindoline constitue la partie la plus importante de la vinblastine, une molécule reconnue comme étant un puissant agent anticancéreux utilisé notamment dans le traitement de la leucémie. «Pour l’instant, il n’existe aucune méthode efficace permettant de synthétiser la vindoline, qui est une molécule très complexe», dit le chercheur.

Même si son laboratoire ne vise pas le développement d’applications médicamenteuses comme telles (c’est le travail des biochimistes), les travaux de recherche fondamentale qui y sont menés contribueront peut-être un jour au développement d’une nouvelle médication pour exploiter les propriétés anticancéreuses de la pervenche de Madagascar sans devoir passer par le coûteux processus d’extraction de la molécule.

Les activités du laboratoire permettent aussi de former des chimistes hors pair : «Quelqu’un qui sait reproduire une structure complexe comme celle de la vindoline fait des merveilles dans l’industrie pharmaceutique», assure le professeur.