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Vers une reconnaissance de l’individu comme sujet de droit en Chine

Par Claude Gauvreau

30 avril 2007 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Les sinologues juristes forment une espèce rare. au Canada, ils ne sont qu’une poignée et Hélène Piquet en fait partie. Professeure au Département des sciences juridiques, elle a reçu l’an dernier la prestigieuse Médaille Gallet de l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de France pour son ouvrage La Chine au carrefour des traditions juridiques.

Ses recherches actuelles portent sur le projet de créer en Chine un code civil qui comprendrait un «Livre sur les droits de la personnalité», incluant le droit à la dignité. Dans un pays qui a été souvent critiqué pour ses violations des droits de la personne, un tel projet, encore méconnu en Occident, constitue une véritable révolution.

Les réformes juridiques chinoises, amorcées en 1978, s’inscrivent dans la politique d’ouverture à l’Occident et reposent sur des emprunts à des modèles juridiques étrangers. «Pendant l’ère maoïste, un code civil, instrument par excellence du droit privé, était inconcevable, explique Mme Piquet. Aujourd’hui, la Chine s’est donné pour objectif de moderniser son système juridique. C’est pourquoi elle s’oriente vers un droit hybride qui emprunte au droit jurisprudentiel de la common law, notamment dans le droit des affaires, ainsi qu’au droit civil.»

Rompre avec un passé douloureux

En Occident, le fait que l’individu soit titulaire de droits inaliénables va de soi. Ainsi, les droits regroupés sous le droit à la dignité sont intégrés depuis longtemps dans divers instruments de droit public, comme les constitutions et les chartes des droits et libertés, ou encore sous forme d’articles dans quelques codes civils. Il en va autrement en Chine, pays marqué par une longue tradition communautariste.

Dans le projet actuel de code civil, le droit à la dignité englobe, entre autres, le droit à la vie et à la santé, le droit à la réputation, le droit à l’honneur et le droit à la vie privée. Selon Mme Piquet, «cette référence aux droits de la personnalité ouvre la porte à une reconnaissance de l’individu comme sujet de droit et permet d’invoquer le droit à la dignité devant les tribunaux.»

Le Livre sur les droits de la personnalité constitue également une critique de la période maoïste, et en particulier de la Révolution culturelle (1966-1976) durant laquelle les droits individuels avaient été bafoués, poursuit la juriste. «Au début des années 80, Deng Xiao Ping, dirigeant du Parti communiste, avait déclaré que le régime maoïste se caractérisait par 30 % d’erreurs et 70 % de bonnes choses. Depuis, aucun bilan de cette période n’a été fait. Les débats soulevés par le projet de code civil exercent une fonction cathartique et favorisent une forme de rupture avec un passé douloureux», souligne-t-elle.

Cela dit, beaucoup de progrès reste à accomplir au chapitre du respect des droits de la personne. La répression de la dissidence, la protection des droits des femmes et des enfants, du droit à la santé et du travail demeurent des problèmes de taille. Mais, ajoute Hélène Piquet, «comme me le confiait un ami chinois qui a vécu la période maoïste, “si la liberté avec un grand L ne prédomine pas encore, nous commençons à jouir d’une myriade de petites libertés”.»