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Tricheurs, les chercheurs?

Par Dominique Forget

12 novembre 2007 à 0 h 11

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Tout comme elle compte ses grands découvreurs et ses Nobels, la science compte son lot de cancres et de fraudeurs. Gregor Mendel, père de la génétique moderne, aurait «amélioré» ses résultats en omettant certaines données jugées trop éloignées des résultats attendus. Le crâne de l’homme de Piltdown, découvert en 1912 par le paléontologue amateur Charles Dawson et censé représenter le chaînon manquant entre les singes et les hominidés, n’était qu’un crane humain affublé d’une mâchoire de singe. Plus récemment, en 2002, le physicien Jan Hendrik Schön s’est fait pincer pour avoir publié des résultats frauduleux sur les nanotubes de carbone. En 2006, c’était au tour du professeur sud-coréen Hwang Woo-Suk d’être inculpé pour la fabrication de résultats sur le clonage humain.

Pour chacun de ces exemples célèbres, il existe des milliers de cas d’inconduite en recherche, moins spectaculaires, aux contours souvent imprécis. Ces cas surviennent autant dans les domaines des sciences «molles» que des sciences «dures». Pierre Cossette, professeur au Département d’organisation et ressources humaines, a dressé le portrait de la situation dans le milieu de la recherche en gestion, dans le cadre d’une enquête qui a mené à la publication du livre L’inconduite en recherche. Enquête en sciences de l’administration (Presses de l’Université du Québec).

Péchés mortels

Le professeur Cossette a commencé à s’intéresser à l’intégrité en recherche le jour où il a découvert qu’un professeur d’une université québécoise avait plagié intégralement dans sa thèse de doctorat l’équivalent de plus de 25 pages de sa propre thèse. «Je me suis mis à lire à peu près tout ce qui existait sur l’inconduite en recherche. Puis, j’ai eu l’idée de sonder l’ensemble des professeurs en sciences de l’administration dans les universités francophones du Québec, pour connaître leur opinion sur la gravité et la fréquence de différentes conduites associées au manque d’intégrité.»

Au total, 699 professeurs ont eu la possibilité de participer à l’enquête; 136 ont répondu à l’appel. Ceuxci devaient, pour une trentaine de conduites décrites, indiquer sur une échelle de 1 à 5 si le comportement décrit était répandu dans leur milieu. En second lieu, en utilisant la même échelle, ils devaient évaluer à quel point le comportement en question était répréhensible. Il était question non seulement de fabrication de données et de plagiat, mais aussi d’autoplagiat, de multisignatures abusives, de mise en ordre injuste des auteurs sur un article, d’omission d’information utile, de citations de travaux non consultés, etc.

Les résultats ont montré que certains comportements étaient considérés par la communauté comme de véritables «péchés mortels», selon l’expression de Pierre Cossette. Ainsi, la totalité des professeurs a estimé que l’invention de données était «très» ou «énormément» répréhensible. Des 136 répondants, 49 jugeaient que cette pratique n’était «pas du tout répandue», 66 estimaient qu’elle était «peu répandue», 10 autres l’ont qualifié de «moyennement répandue» et un seul répondant l’a jugé «très répandue».

Péchés véniels

Toutes les conduites n’ont pas récolté des résultats aussi catégoriques. Plusieurs se sont retrouvées dans la catégorie des «péchés véniels». Lorsqu’il était question, par exemple, de choisir certains tests statistiques plutôt que d’autres parce qu’ils permettaient de confirmer plus aisément une hypothèse de recherche, 50 des répondants jugeaient cette conduite «moyennement», «peu» ou même «pas du tout» répréhensible. Qui plus est, 82 des professeurs estimaient que la pratique était «moyennement», «très» ou «énormément» répandue dans leur milieu.

«L’absence de consensus autour de nombreuses pratiques m’a surpris», avoue Pierre Cossette. Depuis la parution du livre, au début de l’année 2007, le professeur a animé plusieurs tables-rondes sur l’inconduite en recherche, à l’intention des professeurs de gestion. Certaines ont donné lieu à des discussions virulentes visant à départager les pratiques acceptables des pratiques inacceptables. Le professeur a aussi tenu des ateliers auprès des étudiants aux cycles supérieurs pour discuter d’intégrité en recherche. «Si l’on veut s’attaquer au problème, il faut d’abord établir un consensus clair sur ce qui constitue une pratique condamnable, puis former les futurs chercheurs en conséquence.»