Bien que le Québec représente 24 % du poids démographique du Canada, sa part de l’activité économique se limite à 20 %. Cette performance discutable risque de décliner avec le départ massif à la retraite des babyboomers et la faible proportion de jeunes Québécois qui arrivent sur le marché du travail. Il faudra pourtant trouver des moyens de stimuler la croissance économique dans la Belle Province, ne serait-ce que pour assumer les coûts du système de santé qui ne peuvent qu’exploser avec le vieillissement de la population. Quel levier faudra-t-il activer pour permettre une telle croissance? C’est pour trouver des pistes de réponses à cette question que la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a annoncé le 30 octobre dernier la création du Groupe de travail sur l’investissement des entreprises, présidé par Pierre Fortin, professeur au Département des sciences économiques.
«Il existe essentiellement deux approches pour soutenir la croissance économique, explique l’économiste. La première consiste à augmenter la fraction de la population au travail. Au Québec, on sait que cette bataille est perdue. D’ici 2030, il y a aura un million de plus de Québécois qui auront plus de 65 ans qu’à l’heure actuelle. Et il y aura 500 000 Québécois de moins qui seront âgés de 15 à 64 ans. Il faut donc se tourner vers la seconde approche, qui consiste à augmenter la productivité par heure travaillée.»
Les Temps modernes?
Si les travailleurs arrivent à générer plus de richesse pour chaque heure investie au boulot, il y aura nécessairement plus de revenus à distribuer à la fin de l’année. Les salaires augmenteront et, du coup, le niveau de vie également. Et qui dit meilleur niveau vie dit aussi souvent, en bout de piste, augmentation du taux de natalité et de l’immigration.
Mais comment doit-on s’y prendre pour accroître la productivité par heure travaillée? Pierre Fortin se fait rassurant : il ne s’agit pas d’augmenter la cadence des chaînes de montage, à l’image du film Les Temps modernes de Charlie Chaplin. Il s’agit plutôt d’équiper les travailleurs d’outils de travail et de technologies de pointe. Modernisation des usines, achat de logiciels dernier cri, remplacement d’équipements désuets, amélioration des procédés… Or, ce genre de mesures passe par des investissements massifs. Pierre Fortin s’interroge sur les façons d’attirer les capitaux nécessaires au Québec. «Autant il faut inciter les entreprises québécoises à investir chez nous, autant faut-il trouver les moyens de séduire les investisseurs étrangers.»
Dans le cadre de ses travaux, le Groupe de travail sur l’investissement des entreprises se penchera notamment sur l’expansion possible des pratiques de libre-échange et sur les modes de taxation des entreprises. Il s’intéressera aussi à la crise de confiance entourant l’industrie de la construction au Québec, dans le contexte où les épisodes de dépassement des coûts ne cessent de se multiplier. «Une entreprise qui veut construire une usine et à qui l’on propose un devis de 400 M$ souhaitera peut-être investir chez nous. Mais si quelqu’un la met en garde, faisant valoir que les coûts pourraient très bien exploser et grimper à 700 M$, elle risque d’aller voir ailleurs.»
L
‘avantage québécois
Pierre Fortin – qui travaille dans le cadre de ce projet en collaboration avec Andrée Corriveau, ancienne présidente- directrice générale du Centre financier international de Montréal, et Jean Boivin, professeur à HEC Montréal – espère que le dépôt du rapport aura un effet tonifiant sur l’investissement au Québec. Selon lui, la province offre des avantages indéniables par rapport à ses voisins, ontarien ou américain. Elle profite de créneaux d’excellence, que ce soit dans le secteur du multimédia, des biotechnologies ou de l’aérospatial. «En plus, par rapport aux États-Unis, les employeurs profitent ici d’une stabilité de la main-d’oeuvre exceptionnelle et de frais bien moindres en ce qui concerne l’assurance-maladie des employés. Les frais juridiques sont aussi beaucoup moins élevés qu’aux États-Unis. Là-bas, les entreprises manufacturières reçoivent constamment des poursuites, souvent frivoles, mais qui entraînent malgré tout d’importants frais d’avocats.»
Le Groupe de travail a peu de temps pour produire son rapport. Ce dernier devra être déposé auprès de la ministre en janvier 2008. Est-ce un échéancier réaliste? Pierre Fortin répond par une boutade. «La seule raison de notre existence consiste à accélérer la productivité au Québec. Il faut bien montrer qu’on est nous-mêmes productifs.»