Elle a atterri à Montréal en janvier 1997, en provenance de Cuba où elle est née. «Il faisait froid et je parlais à peine le français. Mais j’ai eu le coup de foudre pour le Québec», raconte avec un grand sourire Dulce Maria Cruz Herrera. Licenciée en droit de l’Université de La Havane, elle s’inscrit, en 1999, au programme de maîtrise en droit international de l’UQAM, après avoir suivi les cours du certificat en français écrit pour non-francophones, offert à l’École de langues.
Mme Herrera a remporté les honneurs du premier concours organisé par l’Institut d’études internationales de Montréal (UQAM) qui couronnait le meilleur mémoire de langue française en études internationales. Ce concours était destiné aux étudiants des quatre universités montréalaises.
Le travail de recherche de Mme Herrera a été publié par les Presses de l’Université du Québec sous le titre États-Unis/Cuba : les interventions d’un empire, l’autodétermination d’un peuple, et l’ouvrage sera lancé le 25 janvier prochain, à 18h, à la Salle des Boiseries (J-2805). La jeune chercheuse y analyse les relations bilatérales américano-cubaines sous l’angle du droit international, ce qui n’avait jamais été fait auparavant.
Selon elle, les sanctions économiques prises par les États-Unis à l’égard de Cuba au cours des dernières décennies sont contraires au droit international et relèvent d’une politique d’intervention, voire d’agression. En s’appuyant sur les conventions internationales, elle tente de démontrer que, dans ce dossier, les États-Unis violent le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, y compris celui de choisir leur système économique, politique et social.
L’ONU condamne le blocus
«Dans le cadre de leur politique commerciale, les États-Unis prônent l’ouverture des marchés et le libre-échange. Pourtant, depuis 1961, ils imposent à Cuba un blocus économique, auquel s’ajoutent diverses mesures d’embargo et des pressions auprès des institutions financières étrangères pour qu’elles ne fassent pas affaire avec ce pays», rappelle Mme Herrera. Malgré les nombreuses résolutions de l’ONU condamnant le blocus – au nombre de 13 depuis 1992 – les États-Unis cherchent toujours à exclure Cuba des échanges commerciaux à l’échelle internationale et entravent la liberté de commerce des autres États désireux de développer des liens avec les Cubains, ajoute-t-elle.
Profitant de l’effondrement, au début des années 90, des régimes socialistes en Union soviétique et en Europe de l’Est, le gouvernement américain a renforcé les mesures de contrainte économique, souligne Mme Herrera. «En 2004, la Commission pour le soutien à un Cuba libre, composée de personnages influents de l’administration Bush, publiait un rapport de 400 pages qui proposait des mesures politiques et économiques visant à précipiter la chute du régime castriste et à mettre en place un État correspondant à leur conception de la démocratie. Le rapport incitait également à soutenir financièrement, à coups de millions, des groupes politiques basés à Cuba et opposés au régime actuel.»
Comment expliquer ces gestes alors que les États-Unis maintiennent des relations économiques et politiques avec d’autres pays peu respectueux des droits de la personne, tels que la Chine et l’Arabie Saoudite? «Les Américains n’ont jamais pu tolérer la présence dans leur arrière-cour d’un État socialiste et ont toujours invoqué des motifs de sécurité nationale. Mais depuis la fin de la Guerre froide et l’écroulement du bloc soviétique, Cuba ne représente plus un danger», soutient Mme Herrera.
La politique des États-Unis ne fait pas pour autant l’unanimité au sein de la société américaine, poursuit la chercheuse. Depuis 2000, des groupes d’agriculteurs ont exigé un assouplissement des sanctions économiques. Leurs pressions ont d’ailleurs conduit à l’adoption du Agriculture Export Act qui autorise des échanges commerciaux entre les agriculteurs américains et Cuba. Et en 2004, une quarantaine de membres du Congrès ont adressé une lettre au président Bush dénonçant ce qu’ils appelaient «la politique d’acharnement» à l’endroit de ce petit pays de onze millions d’habitants.
Des droits indivisibles
Femme engagée, Dulce Maria Cruz Herrera a à coeur la défense et le respect des droits de la personne. Associée au Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC) de l’UQAM, elle est aussi membre du Conseil d’administration du Mouvement pour une démocratie nouvelle qui milite en faveur d’une réforme démocratique du mode de scrutin au Québec.
Pour elle, les droits de la personne sont universels et indivisibles. Ils englobent tant les droits civils et politiques (libertés d’expression, d’association et de réunion), que les droits économiques et sociaux (santé, éducation, travail). Cuba est souvent citée en exemple par les grandes organisations internationales pour ses réalisations en matière de santé et d’éducation. Toutefois, précise Mme Herrera, le bilan est beaucoup moins reluisant en ce qui regarde le respect des droits civils et politiques. L’après- Castro ne l’inquiète pas, ajoute-t-elle. «Le peuple cubain est instruit et mature. Rien n’interdit d’envisager une démocratisation éventuelle de la vie politique.»
Attirée par l’enseignement et la recherche, Dulce Maria Cruz Herrera aspire également à travailler dans une organisation internationale. D’ici là, elle poursuit des études de doctorat en droit international à l’Université Paris X-Nanterre et aimerait bien passer les hivers à Cuba et le reste de l’année… au Québec!