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Réforme scolaire : stop ou encore?

Par Claude Gauvreau

18 juin 2007 à 0 h 06

Mis à jour le 28 août 2018 à 10 h 08

Deux coalitions formées d’universitaires et d’enseignants — Poursuivre la réforme et Stoppons la réforme — s’affrontent depuis quelques mois, recueillant des appuis et multipliant les interventions sur la place publique. Lancée en 2000, la réforme scolaire au Québec suscite toujours la controverse. Ses partisans continuent à défendre l’esprit du Renouveau pédagogique et son approche basée sur les compétences, alors que ses opposants réclament le retour à un enseignement axé sur la transmission de connaissances.

Querelle de chapelles pédagogiques? La réforme a pour objectif de favoriser la réussite du plus grand nombre, en particulier des élèves en difficulté et issus de milieux défavorisés. Ce noble objectif, tous le partagent. La question est de savoir si le Renouveau pédagogique propose les bons moyens pour l’atteindre.

Des professeurs et des diplômés de l’UQAM, pro et anti-réforme, expliquent leur position.

«Des approches diversifiées»
POUR : Marc Turgeon, doyen de la Faculté des sciences de l’éducation

«La transmission de connaissances et l’enseignement magistral ne sont pas disparus parce que les approches pédagogiques se sont diversifiées, soutient Marc Turgeon. Comment peut-on écrire sans connaître l’orthographe, ou résoudre un problème mathématique sans savoir compter? Trouvez-moi un enseignant du primaire au Québec qui n’enseigne pas la grammaire ou qui n’impose plus de dictées à ses élèves!»

Dans une approche par compétences, le manuel n’est plus au coeur des apprentissages et l’enseignant cherche à créer des situations qui permettent aux élèves d’apprendre de manière active. « Au niveau universitaire, les formations en médecine et en génie s’orientent de plus en plus dans cette voie, rappelle le doyen. L’UQAM offre depuis 1996 un programme de baccalauréat en sciences biologiques fondé sur l’apprentissage par problèmes qui favorise l’appropriation des connaissances dans un contexte vivant.»

Marc Turgeon rejette tout constat d’échec, mais reconnaît l’existence de ratés dans l’application de la réforme, laquelle s’est déroulée dans un contexte marqué par le boycottage des syndicats et le départ à la retraite de nombreux enseignants.

Selon le doyen, il faut éviter les conclusions hâtives : «En tenant des examens annuels en français et en mathématiques pour les finissants du primaire, on aura dans cinq ans des données fiables permettant de mieux cerner les problèmes.»

Participe passé? Connais pas!
CONTRE : Martin Bibeau, enseignant au secondaire

L’État prétend que la réforme n’interdit pas de transmettre des connaissances disciplinaires. Le hic, c’est que les programmes d’études insistent surtout sur les fameuses compétences, souligne Martin Bibeau (B.Ed. enseignement du français langue première, 93), qui enseigne le français à l’école secondaire Joseph-François-Perreault, située dans le quartier défavorisé de Saint-Michel, à Montréal.

Selon lui, les évaluations des apprentissages portent davantage sur la réalisation de projets et l’acquisition de compétences, comme la capacité des élèves à écrire un texte cohérent ou descriptif, que sur la maîtrise de notions de base en grammaire, syntaxe ou ponctuation. «Mes élèves de secondaire 3 n’ont aucune idée de ce qu’est un participe passé ou de la fonction d’un nom dans une phrase. L’an dernier, la moyenne générale de ma classe se situait entre 50 et 55 %.»

Adapter l’enseignement aux besoins particuliers de chaque élève, comme le demande la réforme, est une tâche insurmontable alors que les enseignants au secondaire sont responsables de trois ou quatre groupes d’une trentaine d’élèves chacun, poursuit l’enseignant. «Ceux qui ne parviennent pas à suivre le rythme ne redoubleront pas, mais décrocheront ou seront orientés vers un programme de formation à l’emploi visant à préparer une main d’oeuvre adaptable et malléable.» Il est toujours difficile d’arrêter un train en marche, mais Martin Bibeau estime qu’il faut tenir de nouveaux États généraux sur l’éducation, pour corriger le tir.

Lier savoir et savoir-faire
POUR : Patrice Potvin, professeur au Département d’éducation et pédagogie

La réforme est nécessaire parce qu’elle permet aux jeunes d’apprendre à naviguer dans une société complexe qui produit une masse toujours plus grande de connaissances et d’informations, affirme Patrice Potvin. «Le cumul des savoirs ne suffit plus, il faut que les jeunes apprennent à se servir de leurs connaissances avec un esprit critique», ajoute le directeur du programme court de deuxième cycle en didactique de la science et de la technologie au secondaire.

Patrice Potvin a enseigné pendant sept ans à des élèves du secondaire. Les jeunes pouvaient être habiles à deviner les réponses dans les examens, se souvient-il, mais sans toujours comprendre et retenir ce qu’ils avaient appris. «Ils apprenaient par coeur les tables de calcul mais n’avaient jamais utilisé les opérations mathématiques pour fabriquer une maquette. Aujourd’hui, la réforme leur permet d’acquérir un savoir en lien avec un savoir-faire. Elle leur demande de faire preuve d’initiative et de créativité, tout en faisant appel à leur jugement.»

Le jeune professeur estime que la réforme a été mal implantée. Théorique et abscons, le message du ministère a engendré beaucoup de confusion. Alors que de nouveaux défis se présentent, en particulier au secondaire, les ressources et équipements ont manqué. « Il est urgent d’entraîner les enseignants à évaluer les compétences, malgré l’absence de tradition dans ce domaine. On doit également réduire le nombre d’élèves par classe et repenser l’organisation du travail pour que les enseignants de différentes disciplines collaborent entre eux.»

Encore faut-il apprendre quelque chose
Gérald Boutin, professeur au Département d’éducation et formation spécialisées

«Ce n’est pas tout de savoir comment apprendre, encore faut-il apprendre quelque chose», souligne Gérald Boutin. Les activités que les élèves développent dans le cadre de la pédagogie par projet, aussi passionnantes soient-elles, ne suffiront pas à les préparer adéquatement au marché de l’emploi si elles n’ont pas été soustendues par des connaissances de base, précise-t-il.

Directeur du Bureau de la formation pratique, Gérald Boutin croit que les élèves doivent d’abord savoir lire, écrire et compter avant d’être encouragés à apprendre par eux-mêmes. «Il n’est pas normal que les élèves qui arrivent au secondaire connaissent de graves lacunes en français et en mathématiques.»

Comment, par ailleurs, développer des projets, organiser le travail en équipe et aider les élèves en difficulté quand les enseignants font face à des classes surpeuplées et ne peuvent compter sur des ressources et du matériel pédagogique en quantité suffisante? «Un de mes étudiants est orthopédagogue et doit visiter cinq écoles regroupant 400 élèves au total. Il a 28 ans et il est épuisé, mentionne le professeur. Pas étonnant que 20 à 25 % des jeunes enseignants abandonnent le métier après trois ou quatre ans.» Tout n’est pas à rejeter dans la réforme, mais il faut marquer un temps d’arrêt et dresser un bilan en profondeur, conclut Gérald Boutin.

Apprendre dans l’action
POUR : Manon Léger, enseignante au primaire

L’approche par compétences et la pédagogie par projets, Manon Léger y croit. Depuis l’obtention de son baccalauréat (B.Ed. enseignement préscolaire et primaire, 96), elle enseigne à l’école primaire Ludger-Duvernay, à Montréal. «Notre école est située dans le quartier défavorisé de Saint-Henri et plusieurs de nos élèves manquent de motivation et reçoivent peu de soutien à la maison. Avec eux, les méthodes traditionnelles, comme l’enseignement magistral ou le par coeur, ne produisent pas toujours des résultats satisfaisants. Quand ils sont dans l’action, ils deviennent plus allumés.»

Avec ses 25 élèves, Manon Léger a conçu un spectacle à partir de l’écriture d’un conte fantastique, projet qui a permis d’intégrer de manière vivante des connaissances de base en français et en arts plastiques. «Je les faisais travailler avec des matériaux et des couleurs pour la construction du décor et, à travers l’écriture, je pouvais évaluer leur maîtrise de la conjugaison des verbes. Le projet visait aussi à développer certaines habiletés sociales : esprit d’équipe, respect des autres, capacité de communiquer, etc.»

La pédagogie par projet, explique-t-elle, facilite aussi l’observation des fameuses compétences transversales, comme l’autonomie et l’esprit critique. Mais le travail individuel n’est pas abandonné pour autant, ni les leçons et examens, notamment en mathématiques. «Certes, la réforme est exigeante pour les enseignants et c’est pourquoi ils veulent être mieux appuyés dans leurs efforts pour se perfectionner et transformer leurs méthodes.»

Un déplorable gâchis
CONTRE : Normand Baillargeon, professeur au Département d’éducation et pédagogie

«Il faut mettre fin à la réforme et se demander comment on a pu arriver à ce déplorable gâchis», soutient Normand Baillargeon. Le professeur, pamphlétaire bien connu, estime que non seulement la réforme scolaire réduit la place des savoirs disciplinaires, mais qu’elle préconise des méthodes particulièrement nuisibles aux enfants en difficulté ou provenant de milieux défavorisés.

«On n’a pas attendu la réforme pour savoir qu’il est parfois souhaitable de réaliser des projets, d’appliquer de façon concrète des connaissances ou d’effectuer des travaux en équipe, dit-il. Mais on sait qu’une pensée critique et créative ne s’acquiert qu’à la suite d’un long apprentissage et non en mettant d’emblée les élèves dans des situations complexes. Il faut plutôt favoriser la maîtrise progressive des connaissances disciplinaires en procédant du simple au complexe, par l’exercice et la répétition.»

Les évaluations disponibles suggèrent que la réforme est un échec, affirme le professeur. En 2005, une équipe de chercheurs de l’Université de Montréal a examiné les retombées du Renouveau pédagogique en matière d’apprentissage des mathématiques sur 500 élèves de milieux défavorisés et a conclu que la majorité d’entre eux stagnaient ou régressaient. Deux ans plus tôt, en 2003, une enquête internationale sur les mathématiques et les sciences révélait que les résultats des élèves du Québec s’étaient effondrés : les petits Québécois étant passés en mathématiques du 5e rang sur 28 au 14e rang, et en sciences, du 9e au 19e rang.