Voir plus
Voir moins

Reconnaissance des peuples autochtones : un pas en arrière pour le Canada

Par Marie-Claude Bourdon

26 novembre 2007 à 0 h 11

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Depuis 20 ans, des leaders autochtones et des représentants gouvernementaux de partout dans le monde, dont plusieurs du Canada, ont oeuvré à rédiger et à peaufiner la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le 13 septembre dernier, lors d’un vote qualifié d’historique, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait la Déclaration. Mais le Canada ne faisait pas partie des 143 pays qui se sont prononcés en sa faveur. Avec les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, il était l’un des quatre États membres de l’Assemblée à s’y opposer.

Que s’est-il passé pour que le Canada, qui se targue d’être à l’avantgarde en matière de droits de la personne, finisse par se dissocier de la Déclaration? «Il est évident que l’arrivée des Conservateurs au pouvoir a changé la perspective du gouvernement canadien sur la question, répond Alain Beaulieu, professeur au Département d’histoire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la question territoriale autochtone. Dans les dossiers concernant les droits des Autochtones, on a adopté une attitude de confrontation plutôt que de conciliation.»

On dit d’ailleurs, selon Alain Beaulieu, que l’un des principaux conseillers du Premier ministre Stephen Harper dans le dossier autochtone est Tom Flanagan, un ancien conseiller du Reform Party et l’auteur de First Nations? Second Thoughts, un ouvrage controversé sur les revendications des Premières Nations. «Il s’agit d’une charge contre la rectitude du discours politique sur les Autochtones», explique le professeur. Selon l’auteur, les Autochtones sont des «immigrants» qui sont venus s’installer sur le territoire, comme les Européens qui sont venus ensuite, et ils ne devraient donc pas jouir de droits particuliers.

Des implications concrètes

À la décharge des Conservateurs, Alain Beaulieu note que les quatre pays qui ont voté contre la Déclaration sont aussi ceux où, non seulement il existe un problème autochtone, mais où il s’est développé un droit des Autochtones. «À partir du moment où les tribunaux confèrent des avantages économiques aux droits associés au statut d’autochtone, la question devient beaucoup plus sensible que dans les pays où la reconnaissance de ces droits ne change rien dans les faits, dit-il. Il faut que la démocratie existe, il faut un état de droit, il faut que les décisions des tribunaux soient respectées pour que le fait de reconnaître des droits aux Autochtones ait des implications concrètes.»

De nombreux pays, entre autres en Amérique Latine, ont beau avoir reconnu la Déclaration, leurs populations autochtones resteront plus vulnérables que celles des quatre pays qui ont voté contre son adoption. Pour d’autres États, il ne coûtait pas grandchose de faire de beaux discours en faveur des droits autochtones, souligne l’historien. «La France et l’Angleterre auraient peut-être hésité davantage à voter en faveur de la Déclaration s’ils pouvaient être tenus responsables des actes commis par leurs ancêtres colonisateurs.»

En réalité, il n’y a pas beaucoup d’écart entre ce que contient la Déclaration et les droits déjà reconnus par le Canada, dit Alain Beaulieu. «Par exemple, la Déclaration reconnaît aux Autochtones des droits sur des territoires qu’ils possèdent ou qu’ils ont déjà occupés ou utilisés. Or, ces droits sont déjà reconnus par la jurisprudence canadienne. Par contre, la Déclaration introduit le droit à la réparation et la crainte du gouvernement canadien est que cela mène à rouvrir tous les traités sur les territoires acquis à l’ouest de l’Ontario à partir de la fin du XVIIIe siècle.»

Des traités contestés

Contrairement à ce qui s’est passé dans l’est du pays, la plupart des territoires de l’Ouest canadien ont fait l’objet de traités et ont été achetés aux peuples indigènes, souligne l’historien. Ces traités, signés sans consentement éclairé, ont déjà été contestés devant les tribunaux. Même si la Déclaration n’a pas force de loi, elle pourrait être utilisée pour ajouter de la pression sur le gouvernement canadien.

D’autres dispositions de la Déclaration suscitaient l’inquiétude d’Ottawa. Ainsi, «des dispositions relatives au concept de consentement préalable pourraient limiter la capacité de l’État à agir sans demander l’avis des communautés autochtones et obtenir leur consentement pour des mesures susceptibles d’avoir un impact sur leurs droits», précise Alain Beaulieu.

Lors d’un débat organisé le 13 novembre dernier par l’Observatoire international sur le racisme et les discriminations, Peter Leuprecht, professeur au Département de sciences juridiques et directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal, a passé en revue et critiqué les divers arguments utilisés par le gouvernement canadien pour s’opposer à la Déclaration. «Je ne suis pas content de mon gouvernement et je comprends les Autochtones d’avoir pris ce refus comme une gifle», a-t-il déclaré lors de cette soirée.

Me Armand Mckenzie, un leader autochtone qui a participé depuis 1992 aux négociations du Groupe de travail des Nations Unies portant sur la Déclaration, s’est dit à la fois très fier de l’adoption de ce document et très déçu de la décision du Canada, même s’il a pour sa part refusé de jeter le blâme sur les Conservateurs. «Les Libéraux n’ont jamais ratifié la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail, qui vise à protéger les droits des peuples autochtones, a-t-il souligné.

Une force symbolique

Selon Me Mckenzie, malgré le refus du Canada d’endosser la Déclaration, les Autochtones vont continuer de s’y référer dans toutes les discussions qui les concernent. «Même quand la Déclaration était encore à l’étape de projet, la Cour suprême y a fait référence», a rappelé le leader autochtone. L’historien Alain Beaulieu et le juriste Peter Leuprecht sont du même avis : malgré le caractère non contraignant de la Déclaration et même si le Canada ne l’a pas approuvée, sa force symbolique, maintenant qu’elle est adoptée, sera très grande. «Rappelons qu’en 1948, le Canada avait eu quelques problèmes avec l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, a mentionné Peter Leuprecht. Peut-être que d’ici quelques années, on se ralliera à la présente Déclaration sur les droits des peuples autochtones.»