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Pour en finir avec les injections d’insuline

Par Dominique Forget

22 janvier 2007 à 0 h 01

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Certaines personnes perdent connaissance à la simple vue d’une aiguille. Les diabétiques, eux, ont l’habitude. Pas le choix! Pour contrôler le taux de sucre dans leur sang – et éviter de tomber en état d’hyperglycémie –, plusieurs doivent s’injecter périodiquement de l’insuline. Mais peut-être plus pour longtemps. Professeur au Département de chimie et de biochimie depuis le mois d’août dernier, Jérôme Claverie travaille à mettre au point des comprimés d’insuline administrables par voie orale.

«L’insuline, comme n’importe quelle autre protéine thérapeutique, se dégrade rapidement dans le système digestif, indique le professeur. Quand on l’avale, elle n’a même pas le temps de se rendre à l’intestin, encore moins dans le sang. D’où la nécessité de l’injecter directement dans les voies sanguines.» Grâce à ses recherches, le chimiste a trouvé le moyen d’encapsuler l’insuline à l’intérieur d’un polymère «intelligent». Cette couche protectrice devrait défendre la protéine dans le système digestif et l’aider à atteindre sa destination finale.

Qu’est-ce qu’un polymère? Pour l’expliquer, Jérôme Claverie emploie l’analogie du Lego. Il s’agit, en effet, de très longues molécules qu’on obtient grâce à l’assemblage de blocs unitaires (les monomères). Ces molécules sont très répandues dans notre environnement. Les plastiques, comme le polypropylène ou le polystyrène, sont tous des polymères.

Des polymères intelligents

«On a appris depuis longtemps à mettre au point des polymères en laboratoire et à l’échelle industrielle, poursuit le chimiste. Cependant, les modes de production sont difficiles à contrôler. Pour cette raison, on n’arrive pas à fabriquer des produits très raffinés.» Dans son propre laboratoire, Jérôme Claverie assemble les monomères sous des conditions très strictes. Dans les réacteurs, il fait varier la température, la pression, la vitesse d’agitation, etc. Surtout, il force la réaction à se produire sous l’eau. Les polymères qui en résultent sont ultra-spécifiques et spécialisés.

«Avec mon procédé, l’insuline n’est pas encapsulée dans une seule couche de polymère, mais dans deux couches, un peu comme un oignon, précise le chercheur. Les propriétés de la pelure extérieure font en sorte qu’elle peut facilement traverser l’oesophage et l’estomac. Une fois dans l’intestin elle se débobine.» La couche inférieure de l’oignon est alors exposée. Cette pelure est attirée vers la paroi de l’intestin, qu’elle traverse aisément. Cette étape franchie, la dernière couche se dégrade à son tour, relâchant l’insuline.

L’équipe de Jérôme Claverie a déjà effectué quelques essais préliminaires chez le rat. Le système digestif du rongeur est toutefois éloigné de celui de l’humain et les chercheurs comptent bientôt entreprendre des tests chez le cochon, plus apparenté à notre espèce à cet égard.

Les diabétiques ne seraient pas les seuls à profiter des résultats de cette recherche. Le chimiste a aussi les hémophiles dans sa mire. «Si on arrive à encapsuler l’insuline, on pourra certainement faire la même chose avec les autres protéines thérapeutiques, dont le facteur 8, un facteur de coagulation administré aux hémophiles. Pour ces derniers, les injections constituent un problème majeur. Elles créent un trou dans la peau, ouvrant un passage au sang.»

Peintures écologiques

Originaire de Lyon, Jérôme Claverie a complété ses études universitaires au California Institute of Technology (Caltech), puis occupé un poste de professeur à l’Université du New Hampshire avant d’accepter une offre de l’UQAM. L’encaspsulation des protéines thérapeutiques n’est qu’un de ses projets. Il s’active aussi à mettre au point des peintures anti-corrosives, exemptes de solvants.

«Les peintures qu’on utilise actuellement pour peindre les voitures et les structures métalliques contiennent des composés chimiques qui sont non seulement nocifs pour la santé, mais contribuent largement au phénomène du smog. Mon objectif est de mettre au point des peintures à l’eau, tout aussi efficaces. Ces peintures sont en fait des latex : de toutes petites particules de polymères, dispersées dans l’eau.»

Peu avant Noël, le professeur Claverie a reçu le prix New Faculty Award pour l’année 2006, décerné par la multinationale Rohm & Haas. Cette entreprise est l’une des plus importantes du monde dans le domaine de la fabrication des latex. Les travaux de Jérôme Claverie sur les peintures anti-corrosives à l’eau ont été jugés particulièrement prometteurs par la société.