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Pilules et polluants : méchants mélanges?

Par Marie-Claude Bourdon

14 mai 2007 à 0 h 05

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Le simple fait de prendre une aspirine, un antibiotique ou un médicament pour l’asthme peut-il multiplier l’effet de certains polluants? C’est ce que tente de savoir Sami Haddad, un jeune professeur du Département des sciences biologiques qui mène un projet de recherche sur les interactions entre les médicaments et différents contaminants présents dans l’environnement, notamment dans l’eau potable. «L’être humain, comme tout autre organisme vivant, est exposé à une multitude de composés simultanément, explique le professeur. Certaines substances peuvent agir sur d’autres de façon à augmenter leur toxicité.»

Chercheur boursier junior du Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ), Sami Haddad s’intéresse dans un premier temps à trois substances connues pour leurs effets néfastes. Parmi celles-ci, le bisphénolA et le nonylphénol sont des perturbateurs endocriniens, des substances qui imitent les effets des hormones et qui peuvent affecter le développement, la reproduction et qui pourraient même favoriser la formation du cancer du sein. Ces composés, utilisés dans plusieurs procédés industriels, se retrouvent en quantité dans les plastiques, les cosmétiques et les détergents, mais aussi dans les aliments et dans l’eau. Ils sont très répandus. «On trouve des traces de bisphénolA et de nonylphénol dans l’urine de 50 % de la population», mentionne le professeur.

Des effets cancérogènes

La troisième substance qui a retenu son attention, le trichloroéthylène, est un composé organique volatil présent dans de nombreux solvants. On le retrouve fréquemment en milieu industriel et il contamine l’eau potable à plusieurs endroits en Amérique du Nord. «Il a des effets cancérogènes, notamment sur le rein et le foie, et il aurait aussi un impact sur la reproduction mâle. Dans ce dernier cas, toutefois, son mode d’action n’a pas encore tout à fait été mis en évidence», précise le chercheur.

Les expériences menées par Sami Haddad et ses étudiants consistent à faire interagir ces contaminants avec 14 médicaments d’usage courant – des antibiotiques, des anti-convulsivants, des antihistaminiques, des antiulcéreux, des anti-inflammatoires, dont certains en vente libre – et à observer, en éprouvette, leurs effets sur la transformation des polluants par des cellules extraites de foies de rats. Par exemple, «on a observé qu’un médicament inhibe la transformation du nonylphénol en son métabolite non toxique, ce qui pourrait contribuer, évidemment, à hausser la toxicité du produit.»

Cette première étape de la recherche consiste à identifier les interactions potentiellement dangereuses. La seconde étape consistera à décrire ces interactions in vitro à l’aide de paramètres mathématiques. «Une fois ces paramètres obtenus, on pourra les intégrer à un modèle qu’on va construire et grâce auquel il sera possible de prédire l’impact des interactions sur un organe cible», explique le professeur. Le modèle sera validé en comparant ses prédictions avec des valeurs expérimentales obtenues chez le rat. Comme il est difficile, souvent même impossible, en toxicologie, de tester ses hypothèses sur des sujets humains, l’intérêt d’un tel outil est évident.

Spécialité : modèles mathématiques complexes

Les modèles mathématiques, comme les interactions, sont la spécialité de Sami Haddad, qui dirige plusieurs projets de recherche dans ce domaine. Ainsi, une de ses étudiantes cherche à simplifier la méthode grâce à laquelle on peut caractériser les interactions binaires existant au sein de mélanges complexes (composés de plusieurs substances). Un autre étudiant tente de développer un modèle mathématique pour mieux tenir compte de la variabilité interindividuelle en pharmacocinétique. «Les données pharmacocinétiques concernent la façon dont la substance se rend du site d’absorption à l’organe cible et la vitesse à laquelle elle est éliminée, précise le chercheur. Elles permettent de prédire les différentes concentrations qu’on pourra retrouver dans l’organisme à différents intervalles après l’absorption.»

Pour l’instant, on ignore pratiquement tout des interactions entre les médicaments et les polluants. Impossible, donc, de faire des mises en garde sur les étiquettes des médicaments. «En pharmacologie, on s’intéresse beaucoup aux interactions médicamenteuses, dit le chercheur. Dans le domaine environnemental, on s’intéresse de plus en plus à la toxicité des mélanges de polluants. Mais il y a vraiment très peu d’études qui se penchent sur les interactions entre polluants et médicaments. Pourtant, les doses de médicaments que les gens consomment – dans certains cas quotidiennement –, sont élevées en comparaison des concentrations de polluants auxquels ils sont exposés. Les chances d’interaction sont donc plus grandes.»

Après un doctorat en santé environnementale sur la modélisation des interactions dans les mélanges de polluants, Sami Haddad a été recruté par la compagnie pharmaceutique Hoffmann-LaRoche, à Bâle, en Suisse, où il s’est intéressé aux interactions médicamenteuses. C’est en combinant ces deux intérêts de recherche qu’il a conçu le projet novateur auquel il se consacre maintenant.

En plus de sa subvention du FRSQ, Sami Haddad reçoit des fonds du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie (CRSNG) du Canada et, conjointement avec le professeur du Département de chimie Daniel Chapdelaine, il bénéficie d’une subvention du Fonds canadien pour l’innovation de 1,2 million de dollars pour mettre sur pied un laboratoire en bioanalytique. «On disposera entre autres d’instruments de spectrométrie de masse qui permettront de mesurer avec plus d’exactitude les substances et leurs métabolites dans les tissus ou le sang», rapporte le jeune chercheur avec enthousiasme.