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Peut-on gagner la guerre en Afghanistan?

Par Marie-Claude Bourdon

8 janvier 2007 à 0 h 01

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

À force de voir revenir d’Afghanistan les cercueils drapés dans l’unifolié, l’évidence s’est imposée. C’est la guerre là-bas. Partis pour aider à reconstruire ce pays terriblement affligé par des conflits qui ne font que se succéder depuis des décennies, les soldats canadiens se retrouvent à combattre un ennemi taliban qui, loin de baisser les armes, semble de plus en plus invincible.

Selon Charles-Philippe David, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques et professeur au Département de science politique, il fallait être naïf pour croire que l’Afghanistan serait gagné facilement et rapidement. «C’est un mythe qui a été véhiculé au moment de l’opération militaire américaine d’il y a cinq ans, rappelle-t-il, quand on a annoncé la victoire au bout de deux mois d’opérations.» Depuis, comme dans le cas du bourbier irakien, la situation n’a cessé de se dégrader.

«Il s’agissait au départ d’une opération de stabilisation et de maintien de la paix qui a glissé vers une mission de contre-insurrection et d’imposition de la paix», observe Nicolas Martin-Lalande, un jeune chercheur français qui s’est joint l’été dernier à la Chaire. Or, historiquement, il faut 10 à 12 ans, en moyenne, pour vaincre une insurrection. «Pour cela, il faut mettre en oeuvre un certain nombre de mesures non seulement militaires, mais politiques, ajoute le chercheur. Pour remporter une contre-insurrection, il faut gagner les coeurs et les esprits.»

Du temps et des moyens

«Intervenir durablement, cela veut dire déployer des troupes en nombre suffisant et investir les moyens économiques nécessaires pour la reconstruction, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à maintenant», dit Charles-Philippe David, qui vient de publier la deuxième édition revue et augmentée de La Guerre et la paix. Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie aux Presses de Science Po. «Je crois qu’il faudra soit se résigner au fait que l’Afghanistan n’est pas gagnable, ou bien se dire que l’Afghanistan est gagnable, mais que pour cela il faudra y intensifier les efforts et surtout y rester longtemps.»

La communauté internationale est-elle prête à soutenir un engagement à long terme? Plusieurs des pays impliqués dans la FIAS (Force internationale d’assistance à la stabilisation en Afghanistan), la mission de l’OTAN au sein de laquelle combattent les troupes canadiennes, refusent que leurs militaires s’aventurent dans les zones les plus dangereuses du pays. La France aurait déjà prévu retirer ses soldats en 2007. Au Canada, nombreux sont ceux qui réclament le rapatriement des troupes et le Bloc québécois a même menacé de faire tomber le gouvernement sur la question de l’engagement militaire.

«Les opinions publiques des contributeurs de la FIAS ne se représentent pas l’impact potentiel de la menace afghane, estime Nicolas Martin-Lalande. Les avions qui se sont écrasés sur les tours du World Trade Centre le 11 septembre 2001 ont causé un choc, mais la menace s’est diluée et les gens ne se sentent plus concernés par ce qui se passe en Afghanistan.»

Un État en faillite

Pour Charles-Philippe David, il serait aberrant de laisser les Talibans reprendre le pouvoir. «L’Afghanistan est un État en faillite, qui a permis la croissance du cancer Al-Qaïda, dit-il. Ce serait épouvantable de permettre à l’histoire de se répéter.» Mais ce n’est pas seulement pour assurer la sécurité internationale qu’il faut selon lui poursuivre la mission. On se doit aussi d’honorer la «fameuse doctrine canadienne de la responsabilité de protéger». «J’ai la conviction, ajoute son jeune collègue, que les Afghans souhaitent autre chose que ce qu’ils ont pu vivre sous les Talibans entre 1995 et 2001.»

Quant à savoir «si nos soldats font la sale job des Américains ou s’ils font vraiment du maintien de la paix», le professeur estime qu’il s’agit d’un faux débat : «Ce n’est plus du maintien de la paix de toutes façons, dit-il, c’est au minimum la guerre pour la paix qu’on fait en Afghanistan.» Il est illogique, selon lui, d’opposer effort militaire et effort de reconstruction. «Pour gagner les coeurs et les esprits», il va de soi qu’il faut investir plus de moyens dans la reconstruction. D’ailleurs, les investissements per capita en Afghanistan ne sont pas au niveau de ce qu’ils sont dans les Balkans. «Mais sans sécurité, la reconstruction est impossible», souligne Charles-Philippe David.

Selon lui, on a laissé pourrir la situation en refusant d’investir les ressources nécessaires et en permettant aux Talibans de se reconstituer au Pakistan et dans de larges parties du territoire où l’OTAN n’assurait aucune présence. La patience des Talibans, le laisser-faire du gouvernement pakistanais, le trafic du pavot qui se nourrit de l’insurrection et la nourrit en retour, les facteurs d’inertie propres à l’Afghanistan constituent autant d’écueils sur la voie de la paix. Ce pays où les Soviétiques se sont cassé les dents peut-il être pacifié? La partie est-elle perdue d’avance? Se retrouvera-t-on, dans un an ou deux, à gérer la défaite comme on risque d’avoir à le faire en Irak? «Les chances sont de cinquante cinquante, croit Charles-Philippe David. Même si les dynamiques sont très négatives, la situation n’est pas aussi irréversible qu’en Irak.»