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Patience et persistance d’une gestionnaire des arts

Par Pierre-Etienne Caza

30 avril 2007 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Les projets d’envergure qu’elle a pilotés avec succès au cours des 30 dernières années ne réussissent parfois pas à chasser le doute dans l’esprit de Madeleine Forcier. «Je me demande si j’ai fait les bons choix professionnels et si j’ai été utile», laisse tomber la directrice générale et copropriétaire de Graff. La Faculté des arts n’hésite pas à se prononcer sur la question, en lui décernant cette année son Prix Reconnaissance UQAM pour son importante contribution à la vie des arts visuels à Montréal.

Intarissable lorsqu’il est question d’éducation et de sensibilisation à l’art contemporain, Madeleine Forcier a été parmi les premières cohortes de diplômés de l’UQAM, en 1972. «Je me trouvais chanceuse que mon diplôme spécialisé en enseignement des arts plastiques devienne un baccalauréat», se rappelle-t-elle en faisant allusion à son passage obligé de l’École des Beaux-Arts vers l’UQAM, nouvellement créée.

Coup de foudre artistique

Devenue maman peu de temps après, elle fait alors de la sérigraphie en dilettante, notamment aux Ateliers Graff, fondés en 1966 par l’artiste Pierre Ayot, qui fut ensuite professeur à l’UQAM. «Dès le départ, Graff s’est voulu un lieu de travail, d’échanges et de rassemblement pour les artistes adeptes de la gravure, de l’estampe et de la photographie», précise Mme Forcier. Ce lieu d’avant-garde, rue Marianne, était ouvert sept jours sur sept et 24 heures sur 24, accueillant surtout de jeunes artistes. «Je n’avais jamais pensé que l’on pouvait faire carrière en gestion des arts, mais lorsque Pierre m’a offert un poste de coordonnatrice et de directrice des expositions, en 1975, j’ai accepté sans hésiter, car j’avais eu le coup de foudre pour Graff», poursuit-elle. Elle délaisse alors la production artistique sans regret. «Je profite depuis du meilleur des deux mondes, ajoute-t-elle. Je fréquente l’univers stimulant des artistes, sans avoir à me débattre avec l’angoisse de la création!»

Lorsqu’elle accepte de seconder Pierre Ayot, Graff a déjà déménagé ses pénates dans une bâtisse plus spacieuse, rue Rachel. Le rez-de-chaussée sert alors de galerie d’exposition. En 1980, Pierre Ayot décide de dissocier administrativement les Ateliers de la Galerie; Madeleine Forcier choisit de diriger la seconde.

Parmi les événements marquants des 25 dernières années, elle se rappelle avec fierté les «20 ans de Graff», célébrés en 1986 par une rétrospective de la collection de gravures et par l’autopublication du livre Le monde selon Graff, un ouvrage retraçant l’histoire des ateliers, en parallèle avec l’histoire du Québec. «Nous étions pourtant néophytes en édition, raconte- t-elle en riant. Nous avons dû acheter notre premier ordinateur et apprendre sur le tas!» Elle se rappelle également avec bonheur l’événement John Cage, en 1989, l’obtention de sa maîtrise en études des arts de l’UQAM, en 1992, et l’exposition internationale d’estampes «Imprimatur», à laquelle la Galerie de l’UQAM a été associée, en 1994. En revanche, le décès de son patron et complice Pierre Ayot, en 1995, a été un coup dur. Elle a néanmoins décidé de poursuivre l’aventure à titre de directrice générale, ce qui l’a menée jusqu’au 40e anniversaire de Graff, célébré l’an dernier.

Le temps de la relève

En 40 ans, les techniques de gravure se sont modifiées. Les Ateliers ont dû se doter d’un laboratoire multimédia et d’une immense imprimante pour les besoins de l’imagerie numérique, entre autres. «Cela donne lieu à de nouveaux langages», dit avec enthousiasme Mme Forcier.

Bon an mal an, quelque 120 artistes viennent faire leur tour chez Graff, parmi lesquels des habitués depuis 20 ou 30 ans, mais aussi des jeunes qui profitent du projet d’insertion de Graff pour les finissants de cégep et d’université. «Pendant longtemps, j’ai trouvé que l’art contemporain piétinait dans sa quête assoiffée d’un public plus large, qu’il ne rayonnait pas suffisamment malgré les efforts de plusieurs d’entre nous, confie Mme Forcier. J’observe cependant depuis cinq ans qu’un nouveau public s’intéresse à l’art contemporain. Mon travail depuis 25 ans porte fruits : je veux donc en profiter encore quelques années!»

L’heure de la retraite n’a pas encore sonnée pour Madeleine Forcier, qui souhaite prendre le temps de former la personne qui lui succédera chez Graff. «C’est mon rêve, s’exclame-t-elle. Et je souhaite évidemment que ce soit une personne diplômée de l’UQAM en histoire de l’art.» Avis aux intéressés!