Après deux années de négociations avec le gouvernement Charest, les grandes pharmaceutiques ont obtenu gain de cause, le 1er février dernier. La Politique du médicament, dévoilée par le ministre de la Santé, Philippe Couillard, met fin au gel du prix des médicaments qui prévalait depuis 1994. L’industrie menaçait de bouder la Belle Province si elle n’accédait pas à cette demande.
Le Québec sortira-t-il gagnant de cette entente renouvelée avec les grandes pharmas qui mènent chez nous des activités de R-D ou de fabrication? «Difficile à dire», répond Pierre Ouellette, professeur au Département des sciences économiques. «La complexité de la question dépasse les capacités d’analyse.»
Pour le gouvernement, la nouvelle Politique contribuera au développement économique de la province, en assurant au Québec un contexte favorable au maintien et à l’expansion des compagnies de médicaments brevetés. L’industrie génère plus de 10 000 emplois fort bien rémunérés dans la province, sans compter les emplois indirects et les retombées sur les facultés universitaires de médecine et de pharmacie. Or, les compagnies établies chez nous soutenaient depuis plusieurs années qu’elles avaient de plus en plus de mal à obtenir des mandats de leurs sièges sociaux, déçus de l’attitude peu favorable du Québec à leur égard.
Devant l’écart grandissant du prix des médicaments entre le Québec et le reste de l’Amérique du Nord, certaines sociétés menaçaient même de ne plus distribuer leurs produits ici. Une menace réelle? «Certainement crédible», croit Pierre Ouellette.
Les coûts de la prospérité
Les bénéfices apportés par les grandes pharmas ont un coût. Le plus évident est peut-être celui occasionné par la «règle de 15 ans», maintenue par la nouvelle Politique du médicament. Cette règle a été instaurée en 1994 pour compenser certaines lacunes concernant la durée de protection des brevets canadiens. «Les compagnies doivent breveter leur molécule dès le moment où elle est découverte, pour ne pas se faire couper l’herbe sous le pied, indique le professeur. Or, il s’écoule plusieurs années entre la découverte et la commercialisation. Une partie du brevet devient donc en quelque sorte “inutile”.»
Par mesure de compensation, le gouvernement s’est engagé à rembourser un médicament innovateur, par le biais du Régime d’assurance médicaments du Québec, pour une période de 15 ans après son inscription sur la liste des médicaments remboursés, et ce, même si le brevet est échu et qu’il existe un générique moins chère.
«Ce genre de mesure entraîne des dépenses importantes pour le gouvernement. Sont-elles compensées par les bénéfices? C’est cette équation qu’il est pratiquement impossible de résoudre. Tellement de ministères, de groupes ou autres entités ont des intérêts dans cette question qu’on ne peut simplement trancher.»
Rien de majeur pour les consommateurs
Le professeur tient à souligner que les Québécois n’ont pas à s’inquiéter outre mesure du dégel des prix des médicaments. Les consommateurs ne devraient pas voir une grande différence sur leur facture. Le gouvernement a en effet statué que la hausse des prix ne devra pas dépasser l’inflation, sauf dans de rares cas d’exception. Il maintient aussi la politique du prix le plus bas. Ainsi, il n’acceptera pas de payer plus cher qu’une autre province.
Par ailleurs, l’industrie pharmaceutique s’est engagée à verser 35 millions $ dans un fonds consolidé pour promouvoir un meilleur usage des médicaments et atténuer l’impact des hausses. Le gouvernement a aussi accordé la gratuité à quelque 280 000 aînés et prestataires de l’assurance emploi.
Dans l’ensemble, le nouveau programme devrait coûter 14 millions $ de plus au gouvernement par année. «C’est plutôt négligeable en regard du coût global du Régime public d’assurance médicaments qui s’élevait à 2,9 milliards $ en 2005-2006», souligne l’économiste. Les véritables augmentations des coûts du Régime sont plutôt liées au vieillissement de la population, à l’augmentation du nombre de prescriptions et au coût des nouvelles molécules.
Même s’il ne se prononce pas en faveur ou en défaveur de la stratégie gouvernementale, le professeur souligne la cohérence dont le Québec a toujours fait preuve envers les compagnies de médicaments brevetés. «L’attitude favorable à leur égard s’est maintenue, peu importe le parti au pouvoir. C’est ce qui permet aujourd’hui au Québec de récolter 42 % des investissements faits en R-D au Canada par les compagnies de médicaments innovateurs. Pour maintenir le cap, c’était la décision à prendre.»