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Nouveaux regards sur les idées politiques au Québec

Par Claude Gauvreau

15 octobre 2007 à 0 h 10

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

L’élection en janvier 2006 d’une dizaine de candidats du Parti Conservateur au Québec et la percée de l’ADQ sur la scène provinciale ont confondu les sceptiques. Pour certains observateurs, ces changements invitent à réexaminer l’horizon des idées politiques au Québec et les clivages traditionnels droite/gauche, fédéralistes/souverainistes et progressistes/conservateurs.

Deux ouvrages, publiés au cours des derniers mois, abordent ces questions avec des regards différents : Une pensée libérale, critique ou conservatrice?, ouvrage collectif dirigé par deux professeurs de science politique, Lucille Beaudry et Marc Chevrier, et Question nationale et lutte sociale, recueil de textes de Jacques Pelletier, professeur au Département d’études littéraires.

Nouvelle sensibilité et…

Les auteurs réunis par Lucille Beaudry et Marc Chevrier, parmi lesquels se trouvent Yves Couture (Sc. Pol. UQAM), Éric Bédard (Histoire, TÉLUQ) et Jean-Pierre Couture (doctorant en science politique UQAM), considèrent que le débat politique s’est «platement appauvri» ces dernières années. Selon eux, le recours à des schémas d’analyse réducteurs opposant droite et gauche ou fédéralistes et souverainiste ne permet pas de rendre compte du pluralisme des idées politiques au Québec. Ils préfèrent utiliser un système tri-polaire impliquant conservatisme, libéralisme et socialisme et leurs divers amalgames.

«Ces intellectuels, nés pour la plupart après 1960, gravitent autour de nouvelles revues (Argument, Mens, L’Agora) et appartiennent à une nouvelle sensibilité qui se démarque des courants d’idées des décennies précédentes, tant par les thèmes explorés – intérêt pour le passé, les traditions et les libertés individuelles – que par les auteurs de référence : Hannah Arendt, Emmanuel Mounier et George Grant, explique Lucille Beaudry. Ils se méfient de toute forme d’embrigadement idéologique et des grands systèmes explicatifs, tel le marxisme.»

C’est peut-être dans leur rapport à l’histoire que ces jeunes intellectuels se distinguent le plus, souligne Marc Chevrier. «Contre une lecture simpliste de la Révolution tranquille qui la voit naître par suite d’une rupture définitive avec un Canada français catholique et conservateur, ils préfèrent souligner les éléments de continuité qui soustendent le changement social. Bref, le Québec d’aujourd’hui est la somme de son passé et non le produit d’une génération spontanée.»

Ces auteurs, qualifiés de «libéraux sceptiques» par les deux politologues, s’opposent aux idées conservatrices en réclamant une séparation entre morale et politique et entre État et religion. «Tout en reconnaissant l’importance d’une justice redistributive, ils gardent par ailleurs une distance critique à l’égard du socialisme qui s’est incarné au Canada et au Québec par la création d’États-providence, explique M. Chevrier. Pour eux, la construction de l’État-providence repose sur une conception selon laquelle les citoyens ne demandent qu’à être couvés par des thérapeutes sociaux à la tête de bureaucraties envahissantes.»

Outre la tyrannie de l’État, ils craignent également celle de la majorité, dans tel village ou dans tel groupe, qui étouffe l’individu sous le règne d’un consensus obligatoire, ajoute Mme Beaudry.

… nouvelle fracture

Pour Jacques Pelletier, la ligne de partage entre la gauche et la droite conserve au contraire toute sa pertinence. Les libéraux et les conservateurs défendent sensiblement les mêmes idées sur l’intervention de l’État dans la vie économique, la redistribution des richesses et la place du secteur privé dans l’organisation des systèmes de santé et d’éducation, soutient le professeur.

«La scène politique québécoise est monopolisée depuis 40 ans par un clivage paralysant entre souverainistes et fédéralistes qui place la question nationale au coeur du débat public», affirme-t-il. Selon lui, la nouvelle gauche qui surgit au tournant des années 2000, incarnée par Québec Solidaire, introduit une fracture inédite. «Liée à la montée des mouvements écologiste et altermondialiste dans lesquels se reconnaît une partie importante de la jeunesse politisée, elle fait apparaître une opposition fondamentale entre les tenants d’une pensée libérale fondée sur le marché et les partisans d’une pensée plus radicale qui remet en question la domination du Capital», dit-il. Québec Solidaire aurait réussi à réaliser la fusion, longtemps désirée, des deux gauches, la politique et la sociale, dans une même organisation.

Cette gauche permet de faire entendre la voix des exclus et des dominés, généralement confinés au mutisme, poursuit M. Pelletier. «En se portant à la défense des conquêtes sociales dans les sphères de la santé, de l’éducation et de l’environnement, Québec solidaire ne se réclame pas du socialisme, mais d’une société plus juste et plus égalitaire. La souveraineté s’inscrit dans le cadre de ce projet global sans être l’objectif central et prioritaire de son action.» Le professeur est convaincu que ce jeune parti représente un espoir pour ceux qui souhaitent l’apparition d’une alternative politique crédible et responsable, capable de s’imposer comme une force électorale.«Mais pour rallier un grand nombre de personnes à ses projets de réformes, Québec Solidaire, qui a recueilli moins de 8 % des votes lors des dernières élections, devra mettre beaucoup d’eau dans son vin», précise-t-il.

Jacques Pelletier entend poursuivre sa réflexion sur ce qu’il appelle «l’articulation difficile mais nécessaire entre l’ordre du désirable et du souhaitable et celui du possible et du faisable.» Ce défi, conclut-il, demeure le plus difficile à affronter pour les intellectuels et les militants qui veulent rester fidèles à leurs convictions tout en espérant les faire partager par le plus grand nombre.