En se lançant dans une production intensive du porc basée sur l’exportation, le Québec a emprunté la voie d’une agriculture industrielle qui dégrade notre environnement, pose des risques pour la santé humaine et soulève des conflits en milieu rural. Voilà le constat dressé dans Porcheries! La porciculture intempestive au Québec, un ouvrage collectif que viennent de diriger Lucie Sauvé, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement, et Denise Proulx, chercheuse associée à la chaire.
Les citoyens qui vivent en milieu rural et qui s’opposent au développement des porcheries industrielles sont souvent taxés d’émotifs. On les traite de «citadins» et on dénigre leur expertise de leur milieu. «Avec ce livre, on a voulu soutenir leur action de résistance en leur offrant de l’information et des pistes de réflexion pour les aider à construire leur argumentaire», explique Lucie Sauvé. «Il s’agit aussi de légitimer leurs revendications», ajoute Denise Proulx.
Une industrie en crise
En faisant de la production porcine un secteur d’exportation hautement subventionné, les gouvernements successifs du Québec ont façonné un modèle d’agriculture basé sur la course au profit. Pourtant, rappellent les auteures, cette industrie est en crise depuis 25 ans et ne parvient plus à rivaliser avec celle des pays émergents. Pendant ce temps, les algues bleues ont envahi les lacs et rivières du Québec, causées en bonne partie par le phosphore que l’industrie porcine rejette abondamment dans l’environnement, une épidémie de circovirus a frappé les cheptels et les problèmes liés aux excédents de lisier, à la fois responsables de la contamination des eaux souterraines et des odeurs nauséabondes, sont en train de détruire le tissu social des communautés rurales.
Denise Proulx, qui a complété une maîtrise en sociologie sous la direction de la professeure Louise Vandelac (qui signe un des textes de l’ouvrage), s’intéresse depuis longtemps à la problématique de la cohabitation sociale en milieu rural. Quant à Lucie Sauvé, c’est la question de l’éducation relative à l’environnement qui a constitué sa porte d’entrée dans le dossier. «Il faut encourager l’émergence de dynamiques d’action sociale au sein desquelles les gens apprennent ensemble, dit-elle. Mais pour qu’il y ait une participation citoyenne aux débats sur l’environnement, il faut qu’il y ait un espace pour les processus démocratiques. Or, sur la question des porcheries, la parole citoyenne est bâillonnée par un système qui fixe les règles du jeu en faveur du développement de la production industrielle.»
Ce livre est constitué en partie des actes d’un colloque organisé à l’UQAM par la chaire en février 2006, à la suite de la levée complète, en décembre 2005, du moratoire sur le développement de l’industrie porcine. Ce colloque, qui s’intitulait «Agriculture, société, environnement» avait permis à toutes sortes d’acteurs, autant du domaine de la santé publique et de l’environnement, que des producteurs agricoles, des consommateurs ou des sociologues, de croiser leurs voix.
«Il s’agissait d’offrir un lieu d’expression à des gens qui ne sont pas entendus», dit Lucie Sauvé. Après le colloque, elle a reçu une lettre de blâme de l’Union des Producteurs agricoles du Québec et de la Fédération des producteurs de porcs, avec copie conforme au recteur de l’UQAM et au président des chaires de recherche du Canada, lui reprochant le manque de scientificité de l’événement. «On a essayé de m’intimider, alors que ce colloque avait été organisé avec la plus grande rigueur, déclare la professeure. Et si on n’y a pas retrouvé le point de vue des gens de l’UPA, c’est parce qu’ils ont refusé notre invitation.»
Si Porcheries! dénonce avec vigueur les impacts environnementaux, sociaux et économiques de la porciculture, «ce n’est pas un livre contre les agriculteurs», souligne Denise Proulx, qui vit elle-même en milieu rural. L’ouvrage – dont la postface est signée par Hugo Latulippe, réalisateur de Bacon, le film -, ne se contente d’ailleurs pas de dresser un sombre bilan de la porciculture industrielle. Il propose des solutions, dont la production sur litière, moins dommageable pour l’environnement, et surtout une autre façon d’envisager l’agriculture, axée non pas sur la productivité, mais sur la qualité des milieux de vie, de l’alimentation et des rapports sociaux, dans une perspective de sécurité et de souveraineté alimentaire.
Lucie Sauvé et Denise Proulx ont défendu leur position dans un mémoire soumis cet automne à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois. «Cette industrie offre une caricature des dysfonctions du système de production alimentaire dans le contexte actuel de mondialisation, dit Lucie Sauvé. Et ce n’est pas en accentuant ce mode de production, comme tentent de le promouvoir les magnats de cette industrie, qu’on va s’en sortir.»