Ceux qui croient qu’Internet ne sert qu’à faire des recherches d’informations et à échanger des courriels ne connaissent qu’une fraction du cyberespace. Les internautes sont de plus en plus nombreux à se brancher pour socialiser, échanger des conseils sur leur vie personnelle ou partager quelques bribes de leur intimité : photos, réflexions et autres tranches de vie pullulent sur les blogues ou communautés virtuelles dont MySpace et Second Life. Les membres du Groupe de recherche en psychologie, informatique et éducation, dirigé par le professeur Jacques Lajoie au Département de psychologie, explorent ces confins du cyberespace, fascinés par les relations sociales qui s’y tissent. Deux jeunes chercheuses, Guylaine Bouchard et Marika Jauron, s’intéressent tout particulièrement aux relations de nature amoureuse.
«Les préjugés veulent que seules les personnes socialement inaptes ou désespérées cherchent l’amour sur Internet, souligne Guylaine Bouchard. C’était peut-être vrai il y quinze ans, quand tout ça a commencé, mais aujourd’hui, Internet est devenu un lieu de rencontre incontournable, fréquenté autant par les jeunes que par les vieux, autant par des professionnels que des ouvriers.»
Une relation en trois étapes
Dans le cadre d’une étude préalable qu’elle avait menée alors qu’elle était associée au Laboratoire de psychologie du couple, à l’Université du Québec à Trois-Rivières, la chercheuse avait sondé, au hasard, 296 personnes qui avaient rencontré ou cherchaient l’amour sur Internet. Premier constat : les internautes qui entretiennent des cyberrelations sont plus vieux qu’elle l’aurait cru. «La moyenne était de 35 ans et on avait plusieurs personnes de plus de 60 ans dans l’échantillon», note-t-elle. Sur les personnes sondées, 30 % avaient noué une relation amoureuse durable grâce à Internet. Et certains avaient des enfants.
L’amour sur la toile suit presque toujours un parcours en trois étapes, selon Marika Jauron. On rencontre quelqu’un – le plus souvent par le biais de sites dédiés aux rencontres amoureuses comme Réseau contact ou Netclub –, on échange quelques courriels, puis on passe au chat. À cette étape, on reçoit et on envoie généralement quelques photos. Suivent en second lieu les conversations téléphoniques, puis, à plus ou moins long terme, la rencontre en face-à-face.
C’est à cette dernière étape que les déceptions sont les plus fréquentes, dit Marika Jauron. «Sur Internet et au téléphone, on se fait une certaine idée de la façon dont la personne s’exprime, de son sens de l’humour, etc. Très souvent, sans s’en rendre compte, on bonifie l’image qu’on construit dans sa tête. Quand on se retrouve devant la personne, on vit un petit choc.»
Sexe, mensonges et Internet
Sans parler que les internautes sont nombreux à mentir durant les échanges de courriel ou les séances de chat. «En fait, ils étirent la vérité», précise Guylaine Bouchard. Elle-même a rencontré quelques hommes dans le monde «réel» après avoir échangé avec eux sur Internet, dans le cadre de ses recherches. «L’un d’entre eux m’avait dit qu’il était informaticien, mais en réalité, il avait fait un petit programme il y a une dizaine d’années. Sur Internet, c’est tellement facile de présenter une image améliorée de soi. Tout le monde fait du sport trois fois par semaine, aime lire et adore les soupers romantiques.»
Si certains internautes se cachent derrière une façade lorsqu’ils sillonnent le cyberespace, d’autres, au contraire, dévoilent à une vitesse fulgurante les détails intimes de leur vie personnelle, alors qu’ils n’arrivent pas à se confier à des amis de longue date qu’ils côtoient dans le monde réel. «Parce qu’on ne voit pas la réaction de notre interlocuteur et qu’on peut prendre le temps de taper et de relire ses mots avant de les communiquer, Internet facilite les confidences, dit Marika Jauron. C’est sûrement pour cette raison que plusieurs utilisateurs affirment s’attacher très rapidement aux personnes rencontrées sur la Toile et ressentir une profonde connexion avec elle.»
Pour éviter les déceptions, ou de tomber dans les pièges de la cyberdépendance, les deux jeunes chercheuses recommandent à ceux et celles qui cherchent une relation signifiante – pas ceux qui ne cherchent que le cybersexe – de ne pas repousser trop longtemps le moment du vis-à-vis. Et surtout, de ne pas se décourager. «Mes résultats ont montré qu’il faut en moyenne rencontrer dix personnes en face-à-face avant de trouver une personne avec qui on envisagerait faire sa vie dans le monde réel», observe Guylaine Bouchard.