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Faire un doctorat à 70 ans… et des poussières!

Par Claude Gauvreau

2 avril 2007 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

«Travail d’érudition remarquable, thèse novatrice qui doit être publiée», ont dit les membres du jury. Monique Nadeau, 78 ans, vient de soutenir avec succès sa thèse de doctorat en histoire de l’art à l’UQAM. Au début de la séance, la voix un peu chevrotante, on la sentait nerveuse. Mais elle prit rapidement de l’aplomb, rassurée par les commentaires élogieux du jury et par la présence de ses amis et de membres de sa famille. «Je n’ai pas l’habitude, c’est ma première soutenance», a-t-elle lancé avec candeur, provoquant quelques rires dans l’auditoire.

«C’est une femme énergique, un modèle de persévérance», souligne Laurier Lacroix, son directeur de thèse, qui la connaît depuis plus de 20 ans. Les étudiants qui l’ont côtoyée pendant sa scolarité de doctorat ont tous été frappés par son intelligence, son dynamisme et sa simplicité, poursuit- il. «Ils la surnommaient affectueusement Madame patrimoine

Carrière tardive

Née à Sherbrooke, Monique Nadeau entreprend à la fin de la trentaine des études collégiales en lettres et en histoire de l’art. «J’avais élevé mes quatre enfants et je n’avais pas envie de devenir une femme désoeuvrée, confiet- elle. Je suis une touche-à-tout. Plus jeune, j’ai fait de la radio, créé une troupe de théâtre avec mon conjoint et vendu des bijoux. J’étais parmi les premiers adultes à suivre des cours de jour au cégep.»

Sa carrière prend son envol au cours des années 80, à l’aube de la soixantaine, alors qu’elle obtient une maîtrise en histoire de l’art de l’Université Concordia et une maîtrise en muséologie de l’Université de Montréal. Elle enseigne également l’histoire de l’art et de l’architecture au Canada, les arts décoratifs et la muséologie à l’Université Bishop’s durant 15 ans, tout en assumant le poste de directrice administrative du Centre de recherche des Cantons de l’Est à la même université, de 1987 à 1995. «Je suis contente d’avoir pu convaincre des étudiants de persévérer dans leurs études. Aujourd’hui, je vois beaucoup de jeunes qui s’imposent des sacrifices pour décrocher un diplôme, sans être certains d’avoir un emploi en bout de ligne.»

Monique Nadeau s’est aussi impliquée dans le milieu muséal et a oeuvré, à divers titres, au Musée de la civilisation du Québec, au Musée national des beaux-arts du Québec et au Musée des beaux-arts de Sherbrooke, pour ne citer qu’eux. Commissaire de plusieurs expositions pendant les années 90, elle remporte en 2002 le prix La Tribune de la Société d’histoire de Sherbrooke pour sa contribution exceptionnelle à la mise en valeur du patrimoine architectural, archivistique et historique des Cantons de l’Est. «Le milieu de l’art au Québec est vivant et stimulant, affirme-t-elle. Mais il a besoin d’un meilleur appui financier, en particulier du secteur privé qui pourrait contribuer davantage.»

Vieillir, c’est dans la tête

La thèse de doctorat de Monique Nadeau porte sur l’histoire d’une institution dont le rôle culturel a été important au Québec : le Art Building de Sherbrooke. Entre 1857 et 1927, ce lieu a été à l’origine de nombreuse activités dans le domaine des beaux-arts, des lettres et de la musique. L’édifice hébergeait une salle de lecture, une bibliothèque publique – avant la création de celle de Montréal – et une grande salle où se tenaient des expositions d’oeuvres d’art, des concerts et des conférences. «Cette histoire passionnante m’habitait depuis longtemps et j’avais simplement envie de la raconter, explique Mme Nadeau. Il m’a fallu du temps pour fouiller les archives et j’ai failli abandonner à quelques reprises. Faire une thèse de doctorat, c’est comme entrer en religion. Heureusement, j’ai pu compter sur l’appui de Laurier , de mon conjoint et de mes enfants.»

Selon le professeur , la thèse de Mme Nadeau permet de faire découvrir un chapitre méconnu de l’histoire culturelle régionale du Québec. «Monique a démontré que Sherbrooke a été le théâtre d’activités artistiques et culturelles qui n’ont pas d’équivalent dans les autres régions du Québec au tournant du siècle dernier. Enfin, elle aide à mieux comprendre la richesse des rapports entre les cultures anglophone et francophone qui cohabitaient de façon harmonieuse à Sherbrooke.»

Que compte faire Monique Nadeau, maintenant qu’elle a terminé sa thèse? Se reposer? Bien sûr que non, puisqu’elle prépare une exposition sur le peintre canadien Frederick Coburn qui se tiendra à Valcourt, le 15 avril prochain. Et puis, elle continuera de siéger, en tant que représentante du secteur de la culture, à la Conférence régionale des élus (CRÉ) pour la région de l’Estrie, tout en participant aux travaux de l’Institut de recherche en art canadien de l’Université Concordia. Ouf! «Je crois tenir mon énergie de ma mère qui était toujours entre deux valises», souligne-t-elle.

Comme dit Laurier , «l’âge n’est pas toujours un obstacle quand on veut réaliser des choses dans la vie. Peut-être que vieillir, c’est dans la tête.»