Le Festival international du film sur l’art (FIFA) de Montréal vient de rendre hommage à celle qui, le printemps dernier, recevait du Conseil des arts du Canada le Prix Bell Canada d’art vidéographique pour l’ensemble de sa carrière et son rayonnement dans la communauté artistique. Chantal Du Pont, vidéaste et professeure à l’École des arts visuels et médiatiques, a vu plusieurs de ses oeuvres être primées dans divers festivals, non seulement au Québec et au Canada mais aussi en France, en Belgique, au Portugal et en Colombie.
Le FIFA a présenté six de ses vidéos réalisées entre 1992 et 2007. Le passage du temps et son impact sur les lieux, les gens, les émotions et le corps est l’un des thèmes récurrents du travail de Chantal Du Pont. Peintre avant d’être vidéaste, elle se sert de sa caméra, mobile et curieuse, pour «saisir la fragilité de l’instant : une ombre sur un mur, la puissance d’une lumière, une ride sur un visage ou des mains au repos», souligne Nicole Gingras qui était commissaire de l’événementhommage organisé par le FIFA.
Filmer le corps comme un paysage
Chantal Du Pont est fascinée par les «territoires intimes» que sont une maison, un journal personnel, une photographie, une lettre d’amour ou un objet conservé depuis des années. Territoires qui sont aussi ceux de l’identité et de la mémoire. «J’aime revisiter les images du passé dont la mémoire nous porte vers l’avenir», dit-elle. Ainsi, Lettres de souvenance, vidéo réalisée en 1996, met en scène la correspondance entre deux femmes et le développement de leur amitié entre Montréal et Barcelone. Deux histoires jaillissent des images et souvenirs de leurs parents et de leurs amours. Elles s’entrecroisent, se répondent et s’interpellent, alors que le passé s’inscrit dans le présent et que le quotidien réécrit la mémoire.
Le travail de Chantal Du Pont porte aussi sur la vulnérabilité et les métamorphoses du corps, comme dans le journal vidéo Du front tout le tour de la tête qui lui a valu, en 2001, le Prix de la création artistique du Conseil des arts et des lettres du Québec. L’artiste s’y est filmée elle-même alors qu’elle subissait un traitement choc pour soigner une grave maladie. Hymne à la vie et questionnement sur la fragilité de l’existence, l’oeuvre regroupe une série d’autoportraits où la vidéaste soumet son corps et sa tête à diverses transformations à travers des gestes physiques et en utilisant des objets (liés à l’enfance) et des végétaux (feuilles, branches). Elle illustre comment la maladie contribue à brouiller les certitudes identitaires. «Auparavant, je filmais des corps dans des paysages. Puis, au fil du temps, c’est le corps lui-même qui est devenu paysage», souligne-t-elle.
L’amour dans le cyberespace
La vidéaste est présentement à la tête du Groupe de recherche sur les nouvelles formes narratives qui réunit des chercheurs-créateurs de l’UQAM et Concordia, tous rattachés à l’Institut de recherche/création en arts et technologies médiatiques (Hexagram) et au Centre interuniversitaire en arts médiatiques (CIAM). Ils étudient l’impact du numérique sur la représentation du temps et de l’espace dans la création de nouvelles formes narratives audio et vidéo. Les résultats de leurs travaux seront publiés dans un ouvrage, Dispositifs audio-vidéo et enjeux narratifs, dont le lancement aura lieu en mai prochain.
L’avènement du numérique a transformé le processus de création, soutient Mme Du Pont. «Alors que le récit a été conçu traditionnellement comme un parcours linéaire, un grand nombre d’oeuvres réalisées à l’aide des nouvelles technologies abordent aujourd’hui la structure narrative du récit dans sa discontinuité spatio-temporelle, engendrant la fragmentation et la non-linéarité.»
C’est dans cet esprit qu’elle a créé récemment, en collaboration avec d’autres chercheurs et des programmeurs, le site Web www.recycleamour.com qui consiste à archiver et recycler de vraies histoires d’amour, recueillies auprès d’Internautes qui les racontent au moyen de textes, de sons et d’images. «Le plan du site s’apparente à la cartographie d’une ville avec ses rues et ses carrefours et a été conçu à partir de la métaphore du cimetière comme lieu de mémoire, de collecte et d’entreposage des histoires d’amour», explique l’artiste. Le visiteur a alors accès à trois types de terrains pour y déposer son histoire : ceux des amours perdus, des amours impossibles et des anecdotes amoureuses. Il peut aussi naviguer d’un récit à l’autre et en recycler des fragments pour créer de nouvelles histoires où s’entremêlent le vrai et le faux.
Cette oeuvre singulière, basée sur un mode de création interactif, traduit bien la conception que Chantal Du Pont se fait de l’art : «un acte de partage avec le public dans lequel on laisse des traces de soi.»